Le Magazine littéraire, février 2002, par Thomas Regnier

Essai au titre ironique, Célébration de la poésie  est une machine de guerre, un redoutable bolide conceptuel lancé à toute allure contre le « prêt à penser » (prétendu tel en tout cas) contemporain. Revêtant l’armure du Polémiste, Henri Meschonnic entend dénoncer une absence de pensée sur la poésie, une « carence de la théorie du langage », lesquelles auraient pour symptôme une tendance à la « poétisation ». Qu’est-ce à dire ? L’essai brode sur l’idée que la poésie est un réel constamment manqué. Selon Meschonnic, parler de la Poésie, manifester, de façon mondaine, l’intention de la dire, dispense en définitive de la faire. « Apoète », « poésophe », « philopoète », « poéthique », « poïétique » : autant de signifiants glanés ici et là dans les livres et les revues qui, loin de témoigner d’une vitalité de la Poésie, dénonceraient plutôt les ravages de la philosophie et de son auxiliaire, l’herméneutique, prisonnière qu’elle est (par définition, précise Meschonnic) de la dialectique stérile du fond et de la forme. Ce n’est pas en effet le moindre des paradoxes de ce livre d’évoquer, en ces temps d’inflation théorisante (Prigent), l’impensé de la théorie critique actuelle : un impensé tel qu’il viendrait subrepticement menacer jusqu’à l’existence de la poésie. D´où le présent cri d’alarme.

Au-delà de la polémique acerbe (visant aussi bien les poètes – Deguy, Bonnefoy ou Roubaud – que les philosophes, comme Badiou) à laquelle trop volontiers il se prête, le véritable intérêt de l’essai consiste en une critique des disciplines – philosophie, linguistique, poétique – dont il s’agit de décrire les limites réciproques. Un examen qui, malheureusement comporte quelques non-dits, comme celui – en dépit de tout ce que peut dire Meschonnic de « l’heideggérianitude contemporaine » – de la dette envers Heidegger (le fait de dissocier valeur et temps chronologique, art et culture ; une pensée du même à travers laquelle s’ébauche une éthique) et Blanchot, qui fut le premier à dire, contre Heidegger, que l’art, s’il ne l’ignorait pas, était libre de la question de la vérité comme de l’origine. Quant à dire précisément ce qu’est une « pensée poétique », Meschonnic, s’il ne se borne pas à « faire du négatif », se contente trop souvent de définitions sommaires (à travers les notions d’historicité, de valeur, de subjectivation), rarement développées, si ce n’est in fine, dans la section intitulée « Un manifeste pour un parti du rythme ».