Le Magazine littéraire, mars 2009, par Victor Pouchet

Comment une trahison a eu, a, ou aura lieu, à quel moment et pourquoi ? » C’est à partir de cette question propre aux tragédies shakespeariennes que se déploie le deuxième roman de Sarah Streliski. Sam, le narrateur d’Accident, traduit Shakespeare justement. Il est aussi chargé d’écrire l’histoire de son grand‑père Baba qui lui dicte ses mémoires. Comme par contagion, le passé de ce vieil homme haï par ses enfants semble se jouer à son tour sur une scène dramatique. À la manière du tragédien, Sam remonte jusqu’à la trahison originelle de Baba, Sarah Streliski enchevêtrant finement le réel et l’imaginaire, c’est‑à‑dire le réel et le shakespearien. Dans le récit de deux familles juives qui se déchirent après la Seconde Guerre mondiale, on retrouve les haines indélébiles des Montaigu et des Capulet ; dans la figure de Baba transparaît le sublime désespoir du roi Lear seul sur la lande. Et c’est sur les traces d’Hamlet que le héros traque les secrets et les spectres du passé. L’auteur observe et relie entre elles les blessures de toute une famille, comme autant de conséquences de cet « accident » initial. De là, elle élève un roman moderne et émouvant, élaboré comme on tisse et démêle « un réseau arachnéen de remords, de culpabilité et de révolte ».