Chronic’Art, mai 2008, par Romaric Sangars

Lutz Bassmann est un hétéronyme d’Antoine Volodine, déjà apparu comme personnage et narrateur dans ses précédents livres. Bassmann n’incarne donc pas une nouvelle démarche esthétique pour Volodine au contraire, cette signature n’est pour lui qu’une prolongation du dispositif post-exotique déjà en place, celui d’une littérature marginale, collective, cryptée, qui se déploie à travers de nombreux genres et se réclame de multiples auteurs, narrateurs et sur-narrateurs. Le délire post-exotique étend simplement son champ de contamination, jusque dans le réel. Ouvrage de la meilleure facture post-exotique, Avec les moines‑soldats est ainsi un recueil d’« entrevoûtes », c’est‑à­-dire un envoûtement littéraire articulé en sept nouvelles allant par paires et organisées en miroir. Quant à Haïkus de prison, il rassemble une suite quasi-narrative de courts poèmes à la manière des haïkus japonais, divisée en trois parties (Prison‑Transfert‑Enfer), offrant la beauté suffocante d’une poésie concentrationnaire agrémentée d’un humour plus que noir. On y retrouve de nombreuses techniques spécifiquement post-exotiques images de cauchemars récurrents, indécidabilité générale, mantras formés à partir de slogans politiques ayant dérivé poétiquement et, enfin, le thème toujours plus prégnant de la destruction imminente de l’humanité par elle-même, le tout sur fond de morts relatives et successives, tunnel absurde d’un antikarma où n’existe qu’une mort qui ne parvient pourtant pas à s’accomplir. Le post-exotisme est un système réticulaire en perpétuelle résonance : chaque nouvelle œuvre tire sa matière des précédentes et les éclaire d’un nouveau faisceau. Ces deux joyaux cachés n’échappent pas à la règle, et contribuent à enrichir encore la vaste transe obsessionnelle de Volodine. Avec eux, l’écrivain développe sans faillir un infini et délicat dégradé de nuances, oscillant entre le vert glauque et le noir absolu, en explorant tous les degrés possibles de goudron et de cendre.