La Croix, 2 décembre 1989

Mario Luzi, le poète

Mario Luzi, né près de Florence en 1914, est l’une des voix essentielles de la poésie de ce siècle. Son œuvre apparaît comme une odyssée de la conscience et une exploration morale du monde.

La métamorphose, l’extinction et la renaissance obstinée de la vie sont chez lui des thèmes constants.

« Dans une éternelle / succession de cendres se recrée / demain » écrit-il, et il voit dans « l’être incessant / un feu que sa propre ardeur régénère ».

Au Cahier gothique qui date de 1947, l’éditeur français a ajouté un recueil qui lui est antérieur d’une année et dont le titre, Une Libation, prolonge et transfigure l’écho du « Toast funèbre » de Mallarmé. Une Libation est une vaste composition où le poète dialogue avec lui-même en un moment de grave désarroi. Sa poésie, qui est le plus souvent d’une lenteur frémissante, à la fois robuste et fluide, prend ici les accents d’une solennité tragique. Il s’agit d’une sorte d’oratorio où l’âme en crise révèle ses lacérations et ses dissonances.

La Seconde Guerre mondiale a été ressentie comme un séisme intérieur par Luzi comme par nombre de ses semblables, ce qui confère à cette Libation un poids de vérité qui excède la « tempête sous un crâne » ou la simple confession intime.

À travers la prière et la plainte désemparée, le poème s’achemine vers l’image d’une « rose persistante, rose immobile dans l’éther et indivise », figure d’une humble béatitude où l’homme, par-delà les obstacles, renouerait avec sa dimension d’harmonie.

Quant au Cahier gothique, de l’aveu même de Luzi, il faut y voir le « journal d’un amour d’autant plus exaltant et habité qu’il était nécessaire après l’aridité, la peur, l’angoisse et la haine » qui avaient été son lot pendant les années de guerre et dont Une Libation portait justement l’empreinte.

Le terme « gothique » placé à l’orée du livre est une référence à Dante et aux poètes du Dolce stil nuovo. Pour cette école qui a fleuri à Florence et à Bologne à la fin du XIIIe siècle et au début du XIVe siècle, la femme assume le rôle d’ange au sein d’un amour conçu comme itinéraire spirituel. Dans un tout autre contexte historique, au cœur du XXe siècle, ferveur des sentiments et vigueur morale tissent dans ce Cahier gothique la trame du poème. La traduction est en tout point admirable.