La Liberté, 29 janvier 2011, par Alain Favarger

Une ténébreuse affaire, par Adriano Sofri

Ancien leader de « Lotta continua », groupe d’extrême gauche né des luttes ouvrières et étudiantes des années 60, Adriano Sofri a été accusé sur dénonciation en 1988 d’avoir fait tuer le commissaire Calabresi, mort en 1972. Avec ses coaccusés, Sofri fut alors condamné à vingt-deux ans de prison. Il vit aujourd’hui chez lui, assigné à résidence, après avoir purgé de longues années sous les verrous à Pise. Intellectuel, auteur de nombreux essais, il tente ici de démêler l’un des événements clés à l’origine des « années de plomb » subies par l’Italie dans le dernier tiers du XXe siècle. À savoir l’épisode de la nuit du 15 décembre 1969 au cours de laquelle Giuseppe Pinelli, un cheminot anarchiste, est tombé du quatrième étage de la préfecture de police de Milan, par la fenêtre du bureau du commissaire Calabresi. Ce dernier privilégiait la piste anarchiste pour expliquer l’attentat de la piazza Fontana qui avait eu lieu trois jours plus tôt au siège de la Banque de l’Agriculture de Milan, faisant 17 morts et 88 blessés. Calabresi sera lui-même plus tard victime d’un assassinat vengeur, incriminé après coup à Sofri, en tant que mandataire, et à deux de ses camarades.

Dans ce livre paru en Italie en 2009, sous le titre La notte che Pinelli, Adriano Sofri ne se répand guère sur sa culpabilité réelle ou supposée, lui qui déclare avoir toujours été étranger au terrorisme. Mais il se reconnaît une coresponsabilité morale dans la campagne justicière et féroce des publications de « Lotta continua » contre Calabresi. Des arguments et un langage « horribles à relire aujourd’hui, mais qui auraient déjà dû l’être en leur temps ».

L’essentiel de l’ouvrage porte en fait sur l’affaire Pinelli, bouc émissaire ou victime expiatoire de ce qui allait devenir « la stratégie de la tension » et de la violence qui a endeuillé l’Italie entre 1969 et 1980. Sofri tente de réhabiliter la figure de Pinelli, écarte la thèse du suicide de ce dernier, montre le peu d’estime que le défenestré avait pour Valpreda, l’autre suspect, évoque les manipulations de la droite néofasciste et d’une partie des services secrets, « qui pensaient que la réponse aux luttes étudiantes et à l’insubordination ouvrière qui avaient marqué les années précédentes et particulièrement l’automne chaud de 1969 ne pouvait s’exprimer que par une stratégie de la tension, c’est-à-dire des provocations et des attentats meurtriers ». Histoire, une fois encore, de rassembler la bourgeoisie et les classes moyennes contre le « péril rouge ».