Le Point, 30 août 2012, par Claude Arnaud

Braquage à l’italienne

Cette année, les Italiens font l’événement : trois prix Strega et deux en voie de l’obtenir viennent de franchir les Alpes. Sexe, glamour, culturisme et banditisme… Ça défouraille sec chez nos voisins.

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Sexe in the Siti

Leçons de nu, de Walter Siti, ou les explorations amoureuses acrobatiques d’un professeur florentin.

Raconter en 600 pages la vie d’un prof de lettres de Florence, quadragénaire, érotomaniaque et solitaire, relève du défi. Mais Walter Siti, l’auteur de ce livre salué à sa sortie en Italie, en 1994, aime voir la fiction se doubler de poésie et d’essai, à l’instar de la légendaire Conscience de Zeno. Et l’on sait que le roman peut tout dès lorsqu’une haute ambition le porte.

Nommé Walter lui aussi, le narrateur aime les culturistes. Sous prétexte de séances photo, il aborde ces M. Muscles, comprimés comme des pneus et lustrés comme des goldens, avec une audace que leur narcissisme récompense souvent. L’imagerie pornographique gouverne si bien ses désirs qu’il a un besoin compulsif de les réduire à un déclic, de faire entrer dans sa chambre noire ces trophées trapus, qui vont bientôt ressortir de son alcôve, comme l’enfant collectionne ses icônes sportives. Des explorations amoureuses acrobatiques achèvent de faire de ces corps divinisés des paysages fantastiques, avec leurs monts mammaires et leurs forêts pubiennes séparées par « une vasque où les antilopes vont boire » : l’auto-ironie de Siti a le don d’aérer la prison de ses fantasmes.

Mêlant la mystique aux deltoïdes, le lyrisme est le carburant du livre. Des dialogues évoquant l’avalanche d’informations, d’images et de sons qui fait de nos consciences des poubelles mondialisées le ralentissent parfois (avant d’éditer les œuvres de Pasolini, Siti a été professeur). Mais la cruauté du narrateur envers ses collègues universitaires (« si tu ne veux pas qu’un sujet te fasse mal, deviens un spécialiste de ce sujet ») permet de tenir jusqu’à l’arrivée de Ruggero, l’amant peintre paysan ; l’aveu d’une impuissance native achève alors de donner son humanité à cette odyssée cruelle ponctuée d’îlots merveilleux qu’illuminent un désir aveuglant, une intelligence au radium et une vaste culture (Leopardi, D’Annunzio, mais aussi Jdanov alimentent citations et pastiches). Avec leurs prodigieux coups d’accélérateur et ses tunnels, ces Leçons de nu devraient donner du travail à des générations de professeurs et assurer à Siti, auteur de huit romans depuis, leur reconnaissance durable : il n’y a pas tant d’écrivains qui garantissent le plein-emploi.

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