L’Express, 26 août 1999, par Michel Grisolia

La fuite sans fin

Des faux papiers ne suffisent pas toujours à faire une Repentie heureuse. Un suspense noir de Didier Daeninckx.

Elle porte deux noms mais elle n’a qu’un cœur, solitaire et blessé. C’est une jeune femme douce et violente, sincère, réticente, absolue, qui se laisse guider par le hasard comme dans une chanson de nuit et de pluie signée Mouloudji. C’est la repentie, une noble de la marge, et une véritable héroïne, figure rarissime dans le roman français actuel. Quand elle entre en prison, elle s’appelle Brigitte Sélian. Lorsqu’elle en sort, douze ans plus tard, elle se nomme Isabelle Lamier. De faux papiers lui sont fournis, au détour d’une rue. Par qui ? Pourquoi ? De quoi s’est-elle rendue coupable, en 1987, pour être condamnée à la réclusion criminelle à perpétuité ? Et qu’a-t-elle accompli qui lui vaille d’être, aujourd’hui, libérée ?

Plus qu’un roman, La Repentie s’offre comme une rafale d’émotions au style cursif, elliptique, ramassé. Didier Daeninckx est l’une des grandes pointures du polar, celui qui fait rimer avec précision et rigueur mémoire et Histoire. On lit désormais dans les écoles Le Der des ders, Main courante, Meurtres pour mémoire. L’essai qu’il a publié en 1997, aux éditions Parole d’Aube, dit tout, par son intitulé même, de sa manière, de ses intentions : Écrire en contre. Contre les injustices, les mensonges de la société, ses lâchetés, son amnésie.

La Repentie n’est pas un polar ; c’est un suspense, noir, tendu sur le fil du réalisme poétique. Une love story sans violons qui parle de confiance et d’amitié, de rues sans joie et de ports de l’angoisse. De Fleury-Mérogis à la Loire-Atlantique, il semble que le soleil ne brille par pour tout le monde de la même manière, selon qu’on a la chance de bronzer à La Baule ou qu’on se brise l’âme dans une banlieue bleu-gris de Saint-Nazaire. Entre une usine désaffectée et deux silos à soja, l’astre du jour parfois risque un rayon, qu’il trempe dans le mazout.

Brigitte/Isabelle échoue dans ce décor, serveuse aux Panoramas, un restaurant qui aime Damia, Fréhel et Piaf. Oubliera-t-elle avec Stellio, le renfloueur d’épaves, un passé d’ombre et d’« actions directes » ? Les anciens de la bande et les flics, également malveillants, veillent. Dans cette chronique, magistrale, du malheur portuaire, qui évoque par son intensité le Breaking the Waves de Lars von Trier, un homme et une femme nous rejouent Le Quai des Brumes, en version contemporaine et peu romantique. Elle a de beaux yeux, La Repentie.