Le Journal du dimanche, 3 janvier 1999, par Christian Sauvage

Inoubliable et humble servante

La Demande, c’est une simple « histoire » comme on les aime

Discrète, Michèle Desbordes a réussi un coup de maître avec La Demande.

Ami lecteur, il te faudra attendre le 10 janvier, date de parution de ce pur bijou pour lire La Demande de Michèle Desbordes. Mais on s’en voudrait d’attendre pour te parler d’un tel livre.

Considère donc cet article comme une mise en bouche, une invitation au plaisir, une bonne nouvelle. Fais un nœud à ton bonheur : un grand livre t’attend
« C’est à peine s’il la virent en entrant. » Dès les premiers mots le personnage principal est installé. Inoubliable. Une servante, celle que le roi de France a mis au service d’un grand peintre italien, de ses élèves et serviteurs venus construire un château pour sa plus grande gloire. Nous voici au XVIe siècle qui est, sous la plume de Michèle Desbordes, très proche. On pense à Léonard de Vinci, au château d’Amboise. Mais il s’agit ici d’une « histoire » (ni « roman », ni « récit », Michèle Desbordes a préféré ce mot) plus que d’Histoire. Il s’agit de littérature. Et d’humanité.

Le portrait de cette vieille femme est tout simple. Ciselé par une plume incroyablement précise, merveilleusement juste. « Une paysanne, c’est ce qu’on leur avait dit, et venue des tourbières… », « elle devait avoir quarante ans, quarante-cinq ans peut-être, elle-même l’ignorait… », « d’un imperceptible glissement de hanches dans un bruit d’étoffes rêches elle s’inclinait devant eux… », au début « elle marchait avec une vaillance qui faisait penser au bonheur… », ensuite, au fil des saisons, « les gestes se firent plus lents, elle avançait à petit pas et si prudemment qu’on aurait dit qu’elle craignait de froisser l’espace autour d’elle… », « elle parlait doucement, n’élevait pas la voix, quand elle parlait c’était comme si le silence continuait… »

C’est alors qu’elle va s’adresser au vieux maître, qu’elle va faire l’incroyable « demande » : « Elle le pria de l’excuser et dit qu’elle ne voulait pas déranger ; mais comme lui elle n’arrivait pas à dormir, aussi comme il y avait un certain temps déjà qu’elle voulait lui demander quelque chose… » On vous laisse le soin de découvrir quoi. Mais sachez que « Quand elle eut fini de parler, quand elle eut dit le dernier mot et qu’elle sut qu’aucun autre ne viendrait, ne pourrait venir, doucement elle se mit à pleurer. » Et nous bien plus encore. On pourrait te dire, ami lecteur, tant d’autres choses sur ce livre. Mais à quoi bon souligner ce qui est effleuré, crier ce qui est murmuré, amplifier ce qui est suggéré. On ne peut que te demander de te préparer à recevoir ce qui s’apparente à un chef-d’œuvre.