Livres hebdo, 25 août 2006, par Véronique Rossignol

Le temps du silence

Un roman et un essai pour retrouver l’art du temps de la délicate Michèle Desbordes.

Deux livres viennent donner des nouvelles posthumes de cette écrivaine à l’élégance hors mode que fut Michèle Desbordes, disparue en janvier dernier. Un roman chez Verdier et un recueil de sept « biographies-fiction » chez Laurence Teper, deux éditeurs qui ont largement contribué à éclairer cette œuvre romanesque et poétique en clair-obscur. Le premier, L’Emprise, séduira les lecteurs deLa Demande, son deuxième livre et premier succès, couronné du prix France-Télévisions en 1999. Histoire de femmes dans la guerre à la campagne, il fait entendre la voix d’une enfant, la narratrice, dans les années 1940, sa mère, sa grand-mère maternelle. Des vies contenues, où les grandes douleurs, la mort accidentelle d’une fillette dans une cour de ferme, ne trouvent pas d’autres remèdes que le mutisme. Des êtres taiseux, incompris, qui « ont l’air d’attendre doucement, comme pliés sur eux-mêmes comme les soirs d’été les fleurs sur les talus». Sans continuité, les souvenirs, presque des rêves, émergent comme d’une nappe de brume, à hauteur d’enfant.

« Douce», « doucement», la sensation imprègne l’évocation mais c’est une douceur qui serre le cœur, qui fait presque mal à force de douceur. La tension naît dans les récits de Michèle Desbordes de ce calme ample, de ce temps sans accélération, sans commencement ni fin. Il n’y a pas de soudain dans l’action. L’intensité de la lumière, la couleur du ciel peuvent bien changer, hier et aujourd’hui sont fondus dans le même rythme, calmement déployés. Michèle Desbordes dit la permanence, l’inexprimé, les dignités discrètes, le tragique des vies humbles, les drames sans effusion, la parole à pas comptés.

Dans ce récit, une nouvelle fois, l’écrivaine parle de ces pays de Loire où elle a commencé et fini sa vie. Sa langue est mélancolique et mouillée comme des bords de fleuve et des étangs solognots. Mais l’écriture est aussi picturale, peut-être plus flamande qu’italienne.