Le Magazine littéraire, mai 2004, par Valérie Marin La Meslée

Michèle Desbordes signe un livre infiniment sensible sur le destin arrêté de Camille Claudel.

Dans un silence lourd de vains espoirs, une femme, assise sur une chaise, devant son pavillon, attend. C’est Camille Claudel, sculpteur, sœur de l’écrivain et maîtresse de Rodin que Michèle Desbordes nous fait rencontrer dans la dernière et si longue partie de sa vie, à l’asile de Montdevergues où sa famille l’a fait enfermer. Où seule une visite de son frère Paul, le diplomate toujours au loin, dessine un semblant d’horizon. Le temps absolu de Camille est le sujet de ce livre. Son auteur renoue ici avec l’empathie des attentes indicibles et l’immobilité imperceptiblement changeante qui a fait le succès de La Demande. Le mouvement, doucement amorcé – malgré la tension émotive, l’effet de répétition pèse parfois sur la prose – s’amplifie, pour nous entraîner d’une période à l’autre de la vie tragique de cette héroïne, si marquée par sa passion pour Rodin. On a rarement si bien donné corps à la fusion de deux figures légendaires et de celles-ci à leur art que dans ces phrases pleines de désir d’amour et de mort. Ce désir, Paul Claudel l’a connu, victime autrefois d’une de ces passions qui vous perdent et l’intimité qui relie le frère et la sœur est l’autre grande réussite de cette évocation.

En renouant dans la construction avec les liens successivement brisés du parcours de son personnage, l’auteur le retisse de l’intérieur à partir de cet isolement de trente ans. « C’est ainsi que je la vois », affirme-t-elle et ainsi qu’elle imagine une sorte de « demande faite à Paul » par Camille, qui lui confie enfin son désir de revoir la mer. Sur fond de bleu, couleur de la robe qu’elle revêt ce jour-là où Paul l’y emmène, bleu pur des moments heureux, bleu dur de toutes les souffrances, s’ouvre la seconde et dernière partie du livre dont on comprend alors le titre. On est entré dans cetteRobe bleue embarrassé des images (celle d’Isabelle Adjani en interprète inoubliable), informations, polémiques et rumeurs si présentes autour du personnage et il n’a pas été facile de s’en départir. Mais au final, Michèle Desbordes est parvenue à éclairer, au singulier de son écriture, les zones les plus ombreuses d’un destin arrêté en signant ce livre infiniment sensible sur l’« inordinaire solitude » de Camille Claudel.