La Quinzaine littéraire, 1er mai 2014, par Hugo Pradelle

Intérieurs

[…] « Les murs de ma maison sont les parois d’une caverne où traînent les lambeaux de mes vies antérieures, vies extérieures aussi, vies que je n’ai qu’incomplètement vécues. » Lorsque Jean-Jacques Salgon nous fait visiter la maison de vacances, sise place de l’Oie dans un village ardéchois, qu’il a acquise pour une bouchée de pain dans les années soixante-dix, il n’exhibe pas son intimité, ne ressasse pas un passé idéalisé : il ne se cloître pas en lui-même.

L’écrivain – toujours aussi iconoclaste – décrit les divers objets (très majoritairement picturaux) qui la peuplent, construisant ainsi progressivement un autoportrait qui se mêle à toute la variété du monde. Comme dans ses livres précédents – Le Roi des Zoulous (2008) et Ma vie à Saint-Domingue (2011) –, il se dit autant qu’il dit les autres, éclaircit pour lui-même ce qu’il est par le détour de leurs vies, inscrivant sa singularité insignifiante dans l’immense tohu-bohu de l’Histoire. Salgon semble obsédé par le rapport entre ce qui fait l’Histoire et les moyens qui permettent de la percevoir. Il évoque, au gré des associations entre les objets qu’il élit et les échos que ceux-ci éveillent en lui, les événements qui le constituent, son ancestralité en somme, ainsi que ceux qui nourrissent son imaginaire et son rapport au monde. Il passe ainsi de la résistance à l’occupant nazi à ses séjours en Afrique et en Algérie, de la vie bouleversée des Valois à la grotte Chauvet, de Rimbaud, qu’il poursuit, à la peinture de Basquiat, de sa généalogie propre aux albums de Tintin…

Pourtant, il ne faudrait pas lire ce livre comme uniquement tourné vers ce qui a précédé. Il y a chez Salgon une religiosité attachée aux objets, une forme de vénération, mais qui ne se clôt pas sur elle-même. Les objets s’apparentent aux « balises d’une histoire qui rêve de pouvoir durer ». Ils portent une part du passé qui se retrouve dans le présent, inventant en quelque sorte une continuité qui, malgré l’éclatement impressionniste du récit, configure l’être. Salgon écrit, plus que des mémoires fantaisistes qui auraient trouvé le prétexte du lieu et des objets, le mouvement même d’une reconnaissance. Ce n’est pas étonnant, tant le regard chez lui prévaut. Les objets, leur figuration dans l’espace intime, loin de refermer sur l’habitude et le connu, permettent d’inventer une temporalité mobile, vive, alerte et rendent possible une réinvention infinie.

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