Livres hebdo, 9 mai 2014, par Véronique Rossignol

Super Walter

L’hyperactif Guy Walter ferraille sur tous les fronts pour faire de Lyon le cœur rayonnant du débat d’idées contemporain.

« Quand j’étais plus jeune, je lisais en marchant », se souvient-il. Jeune, Guy Walter, 58 ans, ne l’est plus tout à fait, mais il continue à marcher en lisant. Courir serait même plus juste tant les années semblent n’avoir eu prise ni sur son énergie, ni sur ses ambitions. Il communique en haut débit, avec conviction, ambassadeur dévoué des arts et des lettres, passeur (hyper)actif. C’est un grand ordonnateur d’événements culturels, dont l’un des plus emblématiques, les Assises internationales du roman (AIR), tiendra sa huitième édition à Lyon du 19 au 25 mai prochains.

Lorrain dont la jeunesse s’est écoulée à Metz, Guy Walter est un homme multiple et très occupé, qui passe une grande partie de son temps dans les trains et les avions, rayonnant à partir de Lyon, camp de base de ses activités. En Rhône-Alpes depuis plus de vingt-cinq ans, il assure la direction artistique de deux institutions locales phares. Il vient de fêter ses dix ans à la tête des « Subs », les Subsistances, ce « Laboratoire international de création artistique » tourné vers le spectacle vivant, créé avec Cathy Bouvard, directrice déléguée. Un vaste espace avec salles de spectacle, résidences et studios de répétitions, installé sur les quais de Saône, au pied de la colline de Fourvière. Et, depuis 1989, Guy Walter est chargé de la programmation de la villa Gillet – « lieu de recherche et de dialogue autour de la pensée et des arts contemporains », décrit le site – qui coorganise AIR en partenariat avec Le Monde des livres.

Débatteurs de haut vol

Dans ces deux lieux très liés, il est question de langage sous toutes ses formes, de complicités créatives, de ponts entre les disciplines, de démarche critique et d’expérimentation sensible, d’interrogations esthétiques et politiques. « Ce qui m’intéresse, c’est de créer des zones d’intensité et de réflexion. » Aux AIR, il s’agit d’« orchestrer la rencontre entre romanciers et lecteurs et d’inscrire la littérature à même la vie », résume le nourrissant programme de l’édition 2014. Initier un espace de réflexion autour du roman et, partant, du monde. Le terme « assises » le dit assez : pas « salon du livre », pas « colloque scientifique » non plus. Une formule entre les deux, avec des rencontres à accès payant auxquelles les auditeurs peuvent s’inscrire à l’avance, des débatteurs de haut vol qui introduisent les tables rondes par une présentation préparée, des écrivains étrangers en VO et traduction simultanée… Et, quelques mois après la manifestation, la publication des interventions chez Christian Bourgois éditeur.

Construire un tel événement est avant tout « un travail de lecteurs », « collaboratif, convivial, capillaire », raconte son principal initiateur. « On lit tous, l’équipe du Monde autour de Raphaëlle Rérolle et celle de la villa, énormément, toute l’année ». « Lorsqu’un livre retient notre attention, nous construisons à partir de lui une problématique pour une table ronde. Ou, à l’inverse, quand des questions nous paraissent importantes, nous cherchons les ouvrages qui pourraient y être rattachés. » L’élaboration du programme se fait ainsi dans les deux sens. Complétée par les retours et conseils informels des acteurs du livre. « Nous n’avons pas besoin de nous adosser à l’actualité éditoriale. Il s’agit de rechercher avant tout un équilibre de sensibilité et de style. »

La dimension internationale est l’autre caractéristique de la touche Walter. Ce goût de l’échange avec l’étranger, qui a présidé à la création du prix franco-allemand Franz-Hessel, imprègne aussi « Mode d’emploi, le festival des idées », dont la troisième édition aura lieu en novembre, ou « Walls and bridges », le programme franco-américain de rencontres initié en 2011 avec le soutien du défunt Conseil de la création artistique présidé par Marin Karmitz.

Addict

En outre, Guy Walter écrit. Tout le temps, depuis longtemps, même s’il n’a publié que cinq titres depuis 1994. Outre mesure, un bref texte autour de la peinture paru en mars chez Verdier , est la version condensée des quelque 500 pages qu’il a accumulées ces dix dernières années. Vingt ans après Un jour en moins (repris en 2009 en « Verdier poche »), l’écrivain, qui a aussi été accueilli chez Verticales et chez Circé, se dit ému et heureux de retrouver la maison fondée par Gérard Bobillier, son tout premier éditeur à l’époque où, dans le milieu, personne encore ne connaissait son nom.

Pour avoir la capacité de faire tenir autant de choses dans des journées de 24 heures, on imagine qu’il faut être à la fois un petit dormeur et quelqu’un de très organisé. C’est le cas. Mais l’explication est insuffisante. « Je crois à la dimension verticale de l’esprit. les activité se fécondent les unes les autres. Tout communique avec tout: il suffit juste de connecter les différentes couches. Et puis, en vieillissant, l’esprit rajeunit, on est plus rapide, plus intuitif », analyse cet « addict » (c’est lui qui le dit), fou de son iPad, qui attaque chaque journée en lisant sur écran la presse internationale. « Un pas de côté, un pas en avant », voilà ce qu’il conseillait à ses élèves du temps où il était enseignant.

Si l’entretien de relations avec les tutelles politiques, bailleurs de fonds des institutions qu’il dirige, n’est pas, concède-t-il, « la partie la plus amusante » de son travail, Guy Walter se réjouit d’avoir trouvé, auprès des élus locaux notamment, des interlocuteurs plutôt attentifs. « Le maire de Lyon, Gérard Collomb, est agrégé de lettres, il est sensible aux questions culturelles. » Mais, soulignant « la précarité des financements », il reconnaît aussi qu’il est fatigant à la longue d’avoir sans cesse à « montrer que ces structures doivent exister ». Transdisciplinaire, cosmopolite, avide d’expérimentations, politique au meilleur sens du terme, animé du sens du service public… si ces qualités sont majoritairement saluées, certains voient aussi dans son ambition conquérante des tentations hégémoniques. Le pèlerin Walter, lui, se dit mû par l’unique quête de « missions avec des objectifs intellectuels stimulants ». L’une de ses croisades actuelles: convaincre le ministère de la Culture de la nécessité d’un « lieu emblématique, puissant, dédié à la vie des idées ». Il rêve ainsi de transformer la villa Gillet en institution nationale, de lui obtenir un label à l’image de la Haus der Kulturen der Welt à Berlin et qu’elle devienne LA maison du débat d’idées en France. « C’est une structure souple qui a atteint un degré de maturité institutionnelle, qui concilie une activité annuelle et l’organisation d’événements, animée par une équipe formidable, très jeune… », plaide celui qui estime que dans « l’ère des métropoles » qui s’est ouverte, ce serait le signe fort d’une décentralisation en acte. « Je n’ai jamais travaillé autrement qu’en bougeant. La solution, c’est être “entre”: il y a là un espace très libre. » Dans cet « entre », Guy Walter aime circuler.