Télérama, 30 avril 2014, par Fabienne Pascaud

Du côté de chez Goethe (1749-1832), à Weimar, en 1825… Est-ce la finesse d’une langue toute de classicisme, ou l’érudition discrète, l’admiration respectueuse pour le génie poétique vieillissant ? Jean-Yves Masson trouve d’emblée le ton – mélancolique – et l’atmosphère – feutrée, quasi recueillie – pour nous plonger dans cette élégante « Athènes de Germanie » où le créateur de Werther fut actif ministre du grand-duc. Le théâtre que le chantre romantique du Sturm und Drang avait fondé là-bas en 1791, puis dirigé près de trente ans durant, vient justement de brûler quand commence le roman. Et nombre de souvenirs du poète avec.

Il les évoque une fois encore à son mémorialiste personnel – l’écrivain allemand Eckermann – et à un ami anglais de ce dernier, qui servira ici de narrateur, entrecroisera anecdotes intimes et fulgurances esthétiques. À 80 ans passés, toujours en train de terminer son Faust et de repenser à la suite du livret de La Flûte enchantée de Mozart (franc-maçon comme lui), Goethe non seulement continue de tirer à l’arc avec une force olympienne, mais rêve de bâtir un nouveau théâtre : « Édifier est nécessaire, vivre n’est pas nécessaire », dit-il. Le public y sera au plus près de la musique et du théâtre ; Goethe pense que l’art libère et magnifie la vie. La représentation privée, pour quelques amis, d’une réduction pour piano et chants de La Flûte est ainsi un des moments les plus enchanteurs du livre.

On y redécouvre combien les chefs-d’œuvre savent éclairer nos obscurités et nos chagrins. Cet étincelant récit est une initiation au miracle du beau.