Livres hebdo, 27 juin 2008, par Michel Puche

Feria chez Verdier

Entretien avec Jean-Michel Mariou. Propos recueillis par Michel Puche.

« FAENAS ». Verdier présente, le 25 août, un cartel d’écrivains inspirés par la tauromachie. Rencontre avec l’éditeur, Jean‑Michel Mariou.

Jean‑Michel Mariou, c’est « le monsieur toros » de Verdier. Entendez par là qu’il y dirige la collection « Faenas », dédiée à la littérature taurine. Il publie peu sur ce marché restreint mais son catalogue compte ce qui se fait de mieux dans le genre, de Camilo José Cela à François Zumbiehl en passant par Jacques Durand.

Fin août, en pleine saison des ferias, Jean‑Michel Mariou enverra pourtant au même office trois auteurs très différents, tous inspirés par le petit monde des arènes. « Le public des aficionados lettrés existe toujours », fait‑il remarquer. Un lectorat qui a plus de 40 ans et qui aime retrouver dans les livres ce que José Bergamín appelait, dans un titre fameux, La solitude sonore du toreo.

C’est d’ailleurs avec ce livre que l’écrivain espagnol, catholique et républicain passionné, prend la tête du cartel annoncé. L’ouvrage, déjà publié au Seuil mais épuisé, est repris en « Verdier/ Poche ». Les deux autres textes sont des nouveautés. Alain Montcouquiol, dont Recouvre‑le de lumière avait connu un sort exceptionnel – plus de 15 000 exemplaires vendus et une adaptation théâtrale par Philippe Caubère –, revient, dans Le sens de la marche, sur les années passées aux côtés de son frère Nimeño II. Un texte poignant, plus ombre que lumière, tant l’aîné reste inconsolable après le suicide de son cadet. Et pour compléter ce paseo estival, les nouvelles de Nadège VidaI. Présentation des trois textes par l’éditeur.

La solitude sonore du toreo, un « indispensable » de toute bibliothèque taurine ?

Non seulement l’œuvre de José Bergamín est un « indispensable » dans toute bonne bibliothèque d’aficionado – car c’est un des rares livres à approcher d’aussi près, par le recours d’une langue magnifique, tous les mystères de cet étrange affrontement rituel entre une bête sauvage et un homme –, mais la traduction française de Florence Delay est un des très grands exemples où la « proposition » du traducteur qui, en l’occurrence, là, ne cache rien de ses recherches, de ses doutes et des impasses que la langue de Bergamín lui impose, arrive à servir le fond de l’ouvrage au‑delà de toute espérance. Dans le livre formidable qu’elle vient de publier chez Hermann (Mon Espagne or et ciel), Florence Delay a des pages admirables sur José Bergamín, qu’elle a bien connu, et ceci explique certainement cela.

 Alain Montcouquiol revient, de manière sombre et intimiste, sur la mort de son frère Nimeño Il. N’est‑ce pas plus qu’une suite ?

Ce nouveau livre, Alain Montcouquiol a mis près de dix ans à l’écrire. Justement parce qu’il ne cherchait pas à écrire un livre. Mais à la parution de Recouvre‑le de lumière, et surtout tout au long des années suivantes, où le livre vivait sa vie sans lui, il s’est rendu compte de tout ce qu’il n’avait pas dit, et des vérités, surtout, qu’il pense devoir à son frère. Et dans ce chemin de réflexion, il est paradoxalement plus près de lui, plus loin de Christian. Le texte est sombre, et magnifique ! C’est une très bonne nouvelle : une autre route commence, une vie qui n’accepte plus d’être écrasée par les souvenirs et la nostalgie…

Nadège Vidal, c’est un œil nouveau sur la tauromachie ?

On parle très souvent du monde de la tauromachie comme d’un monde essentiellement masculin. Et c’est vrai. À de très rares exceptions, c’est l’homme qui affronte la bête. Mais pour penser cet affrontement, ou le rêver, la règle n’existe heureusement pas. Et ces dernières années, autour de l’ethno-sociologie, ou de l’histoire de la littérature, des travaux importants ont été signés par des femmes. La littérature, elle, traîne encore un peu. Ce qui m’a touché dans les textes de Nadège Vidal, c’est que, là aussi, c’est par le travail de la langue que ce qui est certainement une vision particulière se transmet. Un travail sur le trouble du genre, le décalage, qui est tout à fait intéressant.