Livres hebdo, 2 janvier 2015, par Jean-Claude Perrier

Fukushima mon amour

Le journal « nucléaire » de Vincent Eggericx au Japon.

C’est lors de sa résidence d’écrivain à la villa Kujoyama de Kyôto, l’équivalent franco-nippon de la villa Médicis, que Vincent Eggericx s’est pris de passion, il y a déjà pas mal d’années de cela, pour le Japon. Au point de s’y établir, donnant des cours de français et étudiant, outre la langue, le kyudô, l’art ancestral du tir à l’arc, pratique rigoureuse qui lui a inspiré l’un de ses livres précédents, L’Art du contresens. Il semble aussi qu’il s’y soit marié, non point avec Madame Chrysanthème, mais avec une certaine Calypso. Une femme énergique, au tempérament tempétueux, avec qui ses rapports sont le plus souvent tendus. Il sera même question, un moment, de divorce.

Ces démêlés conjugaux sont l’un des thèmes récurrents, l’un des fils conducteurs de ces Mémoires d’un atome, en fait des pages du journal que Vincent Eggericx a tenu à Kyôto, de 2008 à 2012. Singulier journal, puisque daté de la 63e à la 67e année après la catastrophe d’Hiroshima, et, à l’intérieur de chaque année, à la manière romaine, calendes, nones, ides, puis au jour le jour, mais sans date. Là encore, la forme fait penser, toutes proportions gardées et dans un style différent, au Loti de Japoneries d’automne.

Venir au Japon, pour Eggericx aussi, c’était « fuir ! » l’Europe et la France. Sans devenir nippon pour autant : « La félicité que j’ai à être au Japon, note notre ami, c’est en grande partie le fait de ne rien y comprendre. » Mais, chaque fois qu’il rentre à Paris, même un mois, il se sent désormais « étranger ». Sa vraie patrie, c’est notre littérature classique, puisqu’il passe son temps à lire ou relire Rousseau, Commynes, le cardinal de Retz, Rabelais ou Les Liaisons dangereuses. Sur l’Antiquité aussi, Mommsen, Vernant, ou L’Odyssée. Réinterprétant à son tour les mythes grecs, l’écrivain s’assimile à une sorte d’Ulysse, succombant aux charmes de Calypso, dans une relation d’amour-haine.

Lorsqu’il ne parle pas de lui, ni de ses problèmes de santé, Vincent Eggericx dépeint la vie japonaise, au café des Cancéreux, ou des scènes de rue, dans des estampes vivantes et savoureuses. Même si la dimension dramatique n’est jamais loin : à la fin, se produit la catastrophe de Fukushima, qui en évoque, sinistrement, une autre. Et même si, à Kyôto, il n’y a « que » des tremblements de terre.

Mémoires d’un atome est le livre de transition d’un écrivain talentueux et un peu mystérieux, dont on ignore si le prochain sera encore nippon, français… ou grec.