Le Monde, 8 avril 2015, par Jacques Mandelbaum

Deux éclats d’une pensée-cinéma

Penser les images. Aura-t-il jamais cessé de faire cela, Jean-Louis Comolli ? Ancien rédacteur en chef des Cahiers du cinéma, réalisateur de films remarquables, dont une série au long cours, unique au monde, sur la politique à Marseille, auteur de plusieurs ouvrages pénétrants sur le cinéma, Comolli revient aujourd’hui sous le feu de trois actualités complémentaires.

En premier lieu, l’édition d’un DVD, Cinéma documentaire, fragments d’une histoire, un film sur l’histoire du documentaire, traversée à la fois subjective, poétique et pédagogique d’un genre dont il est devenu lui-même un praticien émérite. Depuis La Sortie de l’usine Lumière à Lyon (1895) jusqu’à Kashima Paradise de Yann Le Masson (1973), en passant par quelques Vertov, Buñuel ou Brault célébrissimes, c’est une évocation originale et forte, en images et en paroles (le film est presque entièrement constitué d’extraits, commentés sans graisse), des vertus, malentendus et faux-semblants du documentaire, genre dont il n’est pas exagéré de dire qu’il concentre, pour l’auteur, le cœur brûlant du cinéma, défini comme ouverture au monde.

Rapport du visible et de l’invisible, réalité et mise en scène, vérité et mensonge, témoignage et engagement, tels sont les grands axes de réflexion du film, qu’on trouve prolongés et approfondis dans un nouveau libre que l’auteur a coécrit avec Vincent Sorrel, réalisateur, producteur et enseignant. Placé sous les auspices de Jean Rouch et Gilles Deleuze, articulé autour du passage philosophiquement et éthiquement problématique de l’analogie au numérique, l’ouvrage a la forme d’un abécédaire. Ouvert avec « Acte » (passage à l’ : « ce que le spectateur accepte de suspendre durant la représentation »), fermé avec « Zoom » (selon la monteuse Danièle Anezin, possible manie nommée « zoomite »), il englobe « Caisse » (« métier en voie de disparition ») ou « Webdoc » (« le contraire du cinéma »). Le tout forme un manuel bien écrit et bien pensé, plus subjectif qu’il ne s’en donne l’air évidemment, mais bien utile à qui chercherait des définitions terminologiques douées de perspectives et d’intelligence.