Libération, 25 juin 2015, par Jean-Yves Grenier

L’infamie sous toutes ses formes

Giacomo Todeschini montre la façon dont l’exclusion de l’autre s’est banalisée du Moyen Âge à nos jours.

Dans le monde romain, la pauvreté était surtout perçue comme la conséquence d’une faiblesse économique. Avec le christianisme médiéval, elle acquiert une dimension nouvelle que résume le mot minor (inférieur), au contenu surtout social et religieux. Les pauvres ne sont plus seulement au bas de l’échelle sociale, comme à Rome, ils sont les sans-nom, aux marges du corps social. Ils sont de ce fait frappés d’infamie, c’est-à-dire dépourvus de réputation (fama), essentielle dans une société à honneur. Cela les prive de la capacité à témoigner dans un procès, par exemple, ainsi que de la pleine appartenance à la « civitas chrétienne ». La notion d’infamie ne macule pas seulement les pauvres. Elle frappe certaines professions, comme les prostituées ou les bourreaux, et tous ceux dont la dépendance salariale conduit à « un amoindrissement de la dignité civique, frôlant le risque d’infamia ». Avec le temps, bien d’autres catégories sont concernées, des juifs aux malfaiteurs, des domestiques aux femmes, extension qui en arrive à mettre en cause des secteurs favorisés de la population.
De façon très originale et presque paradoxale, Giacomo Todeschini montre ainsi que la société médiévale telle qu’elle est décrite par les clercs et les élites, loin d’être enserrée dans des cadres immuables, est un leu de redéfinition permanente des statuts, source d’anxiété collective.