De ligne en ligne, octobre 2015

Les mystères d’Antonio

Révélée en France en 2014 avec La Petite Lumière, l’œuvre de l’écrivain italien Antonio Moresco est une invitation à plonger notre regard au-delà de la surface des choses.

Écrits en 1979, les premiers textes d’Antonio Moresco, regroupés sous le titre Calandestinità, n’ont été publiés qu’en 1993. Ce premier titre, essentiel, indique la ferme volonté de l’auteur – que l’on retrouvera comme une constante chez ses protagonistes – de prendre ses distances vis-à-vis d’un monde toujours plus centré et fermé sur lui-même ; de se mettre en retrait des effets de mode liés à une description socio-psychologique des territoires du réel ; de vouloir tout bonnement disparaître, autrement dit fuir, de la surface plate des choses pour contempler des profondeurs insolites. Le lecteur en fera l’expérience dès le début de La Petite Lumière et de Fable d’amour, romans-météorites détachés de l’œuvre maîtresse.

Cette volonté de s’effacer d’un réel de nous connu n’est pas sans susciter une situation d’étrangeté ; elle invente surtout une nouvelle liberté d’évasion littéraire, une façon inédite d’entrer dans la création romanesque, voire dans la Création. Aussi n’est-il sans doute pas anodin que l’œuvre maîtresse de l’écrivain, composée de trois volumes non encore traduits en français, s’intitule précisément L’Increato (L’Incréé). Beauté et mystère d’un terme qui porte en lui, par la bisémie de son préfixe (sans et dans), des perspectives qui, d’un côté, invalident une certaine vision oxydée, homologuée, illusoire, statique, et par trop banale du monde et de la littérature qui le décrit (ou pas) ; et de l’autre, propose de faire passer notre regard par-delà le train, vers un intérieur nouveau, afin que nous apercevions et que nous approchions l’immensité du fond (invisible) des choses et de nous-mêmes.

L’écriture de Moresco ouvre donc grand à l’imaginaire. C’est une écriture limpide et puissante. Limpide comme une eau calme. Puissante comme la lumière des étoiles – et des mots – dans un ciel nocturne. Et des images se forment, qui aspirent et inspirent notre fantaisie ou nos rêves dans l’obscurité impavide de la profondeur, là où se trouvent d’autres petites lumières (quand on sait les voir), là où poudroie le fabuleux, là où temps et espace sont rendus à leur infinie dilatation, là où tout se confond : vie et mort ; jour et nuit ; rêve et réalité.