Le Matricule des anges, janvier 2016, par Christine Plantec

Les souffrances de la jeune Sonia A.

Après un récit dédié au peintre Courbet (La Claire Fontaine), David Bosc revient sur le genre biographique en consacrant Mourir et puis sauter sur son cheval à Sonia Araquistain, jeune peintre qui se suicida) Londres en septembre 1945. À l’origine du projet d’écriture : un passage des carnets du poète Georges Henein où il est fait mention du suicide Sonia, deux articles du Daily Express consacrés à la défunte, et une photo. De ce matériau pauvre, Bosc nous libre un texte hybride où se mêlent formes littéraires et instances narratives multiples.
Soit une scène inaugurale, lapidaire, fonctionnant à la manière d’indication scénique. En italique, on assiste aux derniers instants de l’artiste, quelques minutes avant sa défenestration. Elle n’est qu’une « fille (qui) respire dans le combiné », « se lance à l’assaut des marches », qui « nue prononce des paroles sans queue ni tête » et disparaît.
S’ensuit un récit où le père de la défunte explore l’atelier de sa fille en quête d’indices susceptibles d’éclairer les motifs du suicide. Son insistance le mènera au journal de Sonia dont le contenu ne rend que plus intrigant le personnage. Cette ultime partie est la plus longue du récit et l’on perçoit combien l’auteur s’est fait plaisir à inscrire dans un Londres détruit par les bombes de la Seconde Guerre mondiale une digne héritière du Sturm un Drang. « Dérégler en moi le sens de l’orientation, me soumettre au rythme et, tour à tout, être moi-même la source de la pulsation, de la pulsion. » Sonia voudrait n’être que mouvement, énergie du corps et de l’esprit, liberté pure. La vivacité du style, la crudité des images et leur acuité troublante en attestent, de sorte que le lecteur est emporté par la sauvagerie de Sonia, sa lucidité aussi car la folie du personnage est d’abord un défi à une bêtise humaine dont la guerre et la bourgeoisie (qui se rêve émancipée des carcans moraux) sont les avatars. Lautréamont, Nietzsche, Büchner ne sont pas très loin. Comme eux, « je ne cesse d’entrer dans la montagne » écrit Sonia dans son journal quand bien même il s’agirait de ne jamais en redescendre.