Tageblatt, 22 février 2016, par Laurent Bonzon

« La littérature est une tromperie sans fin », écrit Olivier Rolin, qui s’y connaît en matière de chausse-trappe et de faux-semblants. La preuve par 4 (+ 1) récits dans Veracruz, qui paraît pour cette rentrée d’hiver aux éditions Verdier.
Se jouant des clichés et enfermant plusieurs récits dans plusieurs autres, avec comme clé possible la puissance envoûtante et maléfique du sentiment amoureux ainsi que l’éternel désir de son renouvellement, Olivier Rolin fait de Veracruz un court roman plein de charme et d’incertitude. Dans le clair-obscur de ses paysages, constamment chahutés par le travail de sape du rêve et de la mémoire, le cyclone, phénomène récurrent sous ces latitudes mexicaines, menace constamment la conduite des personnages tout autant que la véracité des faits.
Un homme, d’un âge qu’on dira certain (même si rien n’est sûr dans ce roman en forme de dédale), conférencier littéraire de passage, écluse quelques verres de trop au bar « El Ideal » en espérant que reparaisse Dariana, une jeune chanteuse cubaine au charme entêtant, peut-être agent secret, en tout cas brusquement disparue sans laisser d’adresse. Une occasion trop belle pour qu’un tel héros, déjà épuisé par tout le chemin et les corps parcourus, ne se laisse gagner par un spleen de fiction où tout s’avère désormais possible : pli mystérieux contenant quatre récits venant (peut-être) de la belle, jésuite défroqué à force d’inconduite chamelle, père incestueux, contrebandier de cigares ou trafiquant de drogue, confession d’une « déesse obsidienne », « belle comme une idole aztèque » et aussi puissante qu’un cyclone, meurtre possible à tout instant, recherche d’identité infructueuse…
« Chacun (il faut en tout cas l’espérer) a observé sur soi-même, une fois au moins dans sa vie, le pouvoir magnétique de l’amour, qui attire à soi absolument tout ce qui nous entoure, ce qu’on voit, ce qu’on entend, ce qu’on lit. Comme un poids trop grand déforme le support qui le reçoit, l’occupation exclusive de notre esprit par une figure aimée finit par gauchir nos sens, et nous faire apercevoir des figures qui pour le reste du monde n’existent pas. Et cette déformation est plus forte encore lorsque l’être aimé n’est plus là. » La matière noire du désir, c’est ce qui constitue la structure de ce petit livre d’Olivier Rolin, qui continue de revendiquer la nécessité de la sensualité et du désordre qui lui est consubstantiel. « Il n’y aura jamais de paix » conclut-il. Et tant mieux.