Le Matin Dimanche, 7 février 2016, par Michel Audétat

David Bosc fait danser « le serpent de la langue »

David Bosc met des mots sur des faiseurs d’images. Son précédent roman, La claire fontaine, accompagnait le peintre Gustave Courbet dans son exil au bord du Léman et laissait s’écouler une prose si pure qu’on a été enchanté de boire à cette fontaine-là. De la même eau, Mourir et puis sauter sur son cheval emprunte son titre au poète russe Ossip Mandelstam et s’attache à l’histoire d’une jeune artiste espagnole qui s’est suicidée à Londres. Pourquoi Sonia A. s’est-elle jetée nue par la fenêtre d’un immeuble de Queensway ? Le fait divers va se métamorphoser en dérive poétique.
C’est le livre d’une liberté qui prend son envol. La remarque vaut pour l’auteur (également éditeur chez Noir sur Blanc, à Lausanne), qui s’est emparé d’une histoire dont il ne reste à peu près rien, réduite à quelques lignes publiées dans la presse britannique de septembre 1945, et dont le mystère a provoqué en lui une échappée belle de l’imagination. Mais elle vaut aussi pour Sonia A. qui se laisse emporter par une liberté ivre d’elle-même et s’élève à la hauteur de son désir au moment même où elle s’écrase au sol.
Dans son journal intime, Sonia A. recopie une phrase de Nietzsche : « Et même moi, moi qui suis porté vers la vie, je trouve que les papillons, les bulles de savon et ce qui leur ressemble parmi les hommes sont ce qui connaît le mieux le bonheur. » Libre enfant de Summerhill (école expérimentale et libertaire qu’Alexander S. Neill avait fondée en 1921), Sonia A. aspire à la joie d’une liberté sans entraves, légère, ailée, qui irait jusqu’à l’affranchir des limites de l’espèce. Renards, chevaux, chiens, singes, sangsues, hirondelles… L’animalité envahit l’esprit de Sonia A. qui refuse d’être une créature trop humaine. Dans l’atmosphère admirablement rendue d’un Londres post-Blitz, David Bosc fait danser « le serpent de la langue ».