Sud-Ouest, 14 février 2016, par Yves Harté

Mourir pour vivre autrement

D’une mort mystérieuse, il tire la vie rêvée d’une jeune femme sans limite

À qui sert-il d’être belle, libre et sauvage dans une ville comme Londres, un 4 septembre 1945, à quoi cela sert-il, si personne ne peut croire que vous pouvez voler ? Elle s’appelait Sonia Araquistain. Elle était la fille d’un ministre espagnol républicain en exil. Ce 4 septembre, elle se dévêtit au bas de l’escalier de l’hôtel où habitait son père, monta, nue, les marches jusqu’au dernier étage, frappa à une porte, traversa les pièces et se jeta dans le vide. Le poète Georges Henein nota dans son journal que « selon l’abjecte coutume anglaise, ce suicide avait donné lieu à un procès contre la défunte ».
C’est muni de cette brûlante et infime trace que David Bosc recompose ce que pouvait être Sonia, dans un court livre au titre magnifique : Mourir et puis sauter sur son cheval. Il la réinvente non en la racontant mais en lui donnant une parole hallucinée, de plus en plus délirante à mesure que passent les jours, mais de plus en plus belle échevelée à la manière d’un songe.
Sonia tenait un journal intime écrit entre les lignes d’un roman français des années 1920 qui aurait pu être L’Homme à l’Hispano. Elle y raconte ses rêves qui se confondent avec ses certitudes, son amour des bêtes et ses amours tout court qu’elle accorde sans pudeur à un soldat canadien tatoué ou un Hongrois dont les mots la fascinent.Un elfe
Elle ne connaît ni limite ni barrières. Peu à peu les convenances lui échappent, comme les vêtements qu’elle laisse derrière le jour de son suicide. Elle croit fermement qu’elle rejoindra les oiseaux et qu’elle verra sous elle les chevaux aux têtes sombres, aux salières creusées, au poil cendré. Elle les verra comme nous en persuade David Bosc.
David Bosc aime ces passages entre ici et ailleurs qu’il avait déjà explorés dans son précédent roman La Claire Fontaine, qui accompagnait les derniers mois de Gustave Courbet, obèse et monstrueux. C’est un être de plume qu’il nous donne à aimer cette fois, un elfe dont le tragique destin n’interdit pas la cocasserie d’une vie réinventée. C’est surtout à nouveau une fulgurante ode à la liberté. Sonia ne part mourir mais vivre autrement.