Books, 1er mars 2016

Le sacrifice d’une femme

L’épouse d’un talentueux homme politique renonce à ses rêves pour sa carrière à lui. Est-elle passée à côté de sa vie ?

Les « quarante roses » qui donnent son titre à ce roman sont celles que, chaque année, le brillant homme politique suisse Max Meier offre à sa femme Marie pour son anniversaire. Même si cela fait longtemps qu’elle n’a plus 40 ans. Une mascarade qu’elle supporte de plus en plus mal et qui, cette année-là, l’amène à s’interroger sur sa vie et son identité. Les lecteurs de Thomas Hürlimann auront reconnu les personnages de certains de ses précédents ouvrages (notamment Mademoiselle Stark), inspirés des membres de sa propre famille : son père, Hans Hürlimann, fut conseiller fédéral et même président de la Confédération helvétique à la fin des années 1970. Mais avec Quarante roses – qui peut se lire indépendamment –, l’écrivain suisse signe son livre « le plus riche, le plus ambitieux et aussi le plus prenant », écrit Pia Reinacher, du Frankfurter Allgemeine Zeittung. Un livre qui « dépeint l’ascension et la décadence d’une dynastie de tailleurs juifs dans un canton catholique de la Suisse du XXe siècle », résume Evelyn Finger dans le Zeit.
Marie Meier, née Katz, est la dernière représentante de cette famille. Sa mère s’est convertie au catholicisme, son frère est devenu un haut dignitaire de l’Église, elle-même a été élevée par des religieuses avant d’épouser le blond, l’ambitieux Max Meier. Ce qui ne l’a pas empêchée de subir, pendant la Seconde Guerre mondiale, l’antisémitisme de la société suisse, bien moins « neutre » qu’elle ne le prétendait. Marie a eu des rêves, bien sûr: elle jouait merveilleusement du piano, fréquentait des cercles intellectuels où l’on discutait de Lénine et de Nietzsche. Mais elle a fini en épouse docile d’un politicien opportuniste qui voit en elle son plus beau trophée. « Hürlimann dresse le portrait d’une femme qui sacrifie son talent de pianiste à la carrière de son mari, renonce à ses propres rêves et s’accommode, en toute conscience, des normes qu’on lui impose », écrit Reinacher. « La vie comme accommodement mortel, c’est bien de cela qu’il s’agit », confirme Evelyn Finger. Après avoir vu défiler l’existence de Marie, « le lecteur tente en vain de se souvenir du moment exact où elle a renoncé à ses projets pour disparaitre derrière la façade de first lady. Sa vie ratée est le fruit d’innombrables petits compromis ». Et l’occasion, pour Hürlimann, de signer un « formidable roman sur la force destructrice de l’amour, sur la famille qui emprisonne et sur l’implacable passage du temps », conclut Finger.