BSC News, 14 mars 2016, par Laurence Biava

Veracruz est un très beau livre qui réserve de grands moments d’écriture. Voilà une orfèvre littéraire d’où jaillissent des fragments fulgurants de poésie. C’est un texte fort et puissant. Ténu. Où chaque phrase tressaille. Comme chaque fois avec cet auteur rare, qui ne déçoit jamais, il y a un lyrisme fou.
A la suite d’une rencontre qui le marque à Veracruz, obsédé par l’amour-faucon qu’il vit avec Dariana, soudainement apparue dans sa vie et la perte immense que lui cause sa disparition, le narrateur, en souffrance, perdu et éperdu, arraché à lui-même, imagine que les écrits qu’il reçoit à la suite de cette fugue, proviennent d’elle, ou en tout cas, c’est ce qu’il se plaît à imaginer pour justifier l’inexplicable.
Deux récits s’enchâssent alors à partir du moment où un pli parvint à l’hôtel, expédié par la poste, pli qui ne comprend aucune indication de provenance, aucun mot d’accompagnement. Un pli qui contient d’autres récits, brefs, et aussi terribles que fantasmagoriques.
Extrait
« … Chacun (il faut l’espérer) a observé sur soi-même, une fois au moins dans sa vie, le pouvoir magnétique de l’amour, qui attire à soi absolument tout ce qui nous entoure, ce qu’on voit, ce qu’on entend, ce qu’on lit. Comme un poids trop grand déforme le support qui le reçoit, l’occupation exclusive de notre esprit par une figure aimée finit par gauchir nos sens, et nous faire apercevoir des figures qui pour le reste du monde n’existent pas. Et cette déformation est plus forte encore lorsque l’être aimé n’est plus là. Tout devient signe, le monde soudain infiniment bavard ne cesse de nous murmurer des messages que nous nous épuisons à essayer d’interpréter.»
Les récits sont quatre monologues passionnants. Dont la puissance grandit de page en page. Trois hommes et une femme parlent. C’est un huis clos. Il y a Ignace, Miller, El Griego, Susanna qui se relaient pour cracher des mots comme du feu, vrombissants. C’est assez étrange, on se croirait au théâtre. Le texte est abrasif, plein de violence, c’est sec, et pourtant, quelque chose plie sous le poids des mots et du verbe dru. Ces quatre récits composent de mystérieux jeux de rôle. S’opère et s’établit insidieusement une hiérarchie, faisant tout à tour apparaître pouvoir et servilité. D’où sortent les sons ? Quelque chose viendrait il d’en haut et du sol ? On est en pleine fantasmagorie. Où est le réel ? Quelle cohérence à l’histoire ? Et puis, finalement, tout s’organise, se lie et se relie, avec la première partie, celle de la rencontre immédiate.
C’est un livre mosaïque, un livre à tiroirs, spirituel, surprenant, qui interroge le fond des sentiments et qui plonge dans l’âme humaine. Olivier Rolin possède un style parfait et une écriture ciselée, grâce à laquelle le lecteur est entraîné, interpellé. Parfois dérouté, cherchant une suite logique aux modulations du récit et aux idées qu’il déplie. Est-on dans l’imaginaire, dans le vécu ? On est dans une configuration intérieure, atypique préposée à élaborer des mouvements, des modulations de ton et de rythme, d’où ce sentiment de prises d’angles différents, comme filmés.