Actualité juive, 28 juillet 2016, par Jonathan Aleksandrowicz

Politique de l’amitié

Dans L’épreuve du collectif, Gilles Hanus, directeur des Cahiers d’études lévinassiennes, livre une réflexion passionnante sur l’existence commune, loin de fictions politiques comme le vivre-ensemble.

Contre ton gré, tu fus créé ; contre ton gré tu naquis ; contre ton gré ; tu vis ; contre ton gré, tu mourras ». Ce dire des Maximes de nos Pères résume bien le tragique de l’existence : l’être humain est jeté au monde, toujours impuissant devant des forces qui le dépassent et qu’il ignore. Solitude. Et certes, d’aucuns trouveront leur compte dans cette distance au monde qui fait la grandeur de l’aristocrate. Reste que l’expérience première du monde condamne à la vie en collectif, quand bien même celle-ci se résume au mieux au côte-à-côte des anonymes, au pire à l’opposition des ennemis. Pour sortir de la dispersion et de l’extermination, Gilles Hanus propose dans « L’épreuve du collectif » une politique de l’amitié dans laquelle l’optimisme ne cède en rien à l’exigence. Car dans le face-à-face platonicien qu’il convoque, le dialogue, pour opérer, exige que chacun soit absolument présent à soi-même. Dans cette communauté, une guerre de la pensée, mais une guerre positive qui fait événement, qui demande à chacun de se nourrir pour confronter la valeur de sa connaissance à la compréhension de l’autre, qui entraîne une sortie de l’anonymat et de son cortège d’opinions. Reste que la foule, cet obstacle, empêche le passage du dialogue à la vie en communauté. L’Histoire a montré que pour faire corps et cœur, le collectif devait faire l’épreuve de la violence et s’abandonner à la terreur : peur de l’ennemi d’un côté, tentation de tous devenir des assassins pour conserver l’illusion de la fraternité. Gilles Hanus tente justement de fuir ces lignes mortifères. Pas avec une solution miracle, une nouvelle d’idéologie politique, mais en proposant un projet ambitieux : il n’y a de nous que lorsque ce nous accouche d’une création singulière. Pour cela, il convient de retrouver la position d’Abraham. Le patriarche se voyait « étranger résidant » : à l’écart mais dont la tente est prête à accueillir l’autre prêt à assumer le désert du monde.