Les Lettres françaises, décembre 2016, par Anaïs Heluin

La maladie de l’écrit

Après un roman, les Irréguliers, et une pièce de théâtre, Patrick Autréaux revient à ce qui l’a fait connaître : l’écriture autobiographique ancrée à son expérience de la maladie. Un cancer qui, à l’âge de 35 ans, fit entrer le psychanalyste d’urgence en littérature. Prolongement de Dans la vallée des larmes et de Se soigner, la Voix écrite retrace son abandon de la médecine au profit de l’écriture. Débarrassé du sentiment d’urgence qui motivait ses récits antérieurs, l’auteur se livre à une réflexion sur le lien entre ses deux pratiques successives. Des premiers échanges avec un éditeur qu’il prénomme Max – en fait Jean-Bertrand Pontalis, qui a publié le premier livre de Patrick Autréaux dans sa collection « L’un et l’autre » – à ses premiers pas dans l’écriture romanesque, il s’attache avec rigueur et délicatesse à tous les ponts qui relient les mots et la douleur. Sur les traces de Hölderlin, il interroge ainsi de manière très personnelle l’utilité des poètes en temps de souffrance et l’origine de leur vocation.

La sienne a quelque chose de mystique. Après une introduction consacrée à sa rencontre avec Max, Patrick Autréaux reconnaît son goût pour les Évangiles et les vies de saints. L’écriture, pour lui, est un impératif. Une réponse spontanée à un délitement. « Il avait suffi de constater que ce qui m’entourait pouvait s’écrouler, ma famille se décomposer sans que je puisse rien faire contre (…), et c’était sorti de mon corps : des phrases, des poèmes, des mots », écrit-il par exemple. La Voix écrite n’est pourtant pas une simple actualisation d’un genre littéraire quasiment disparu au XIXe siècle : le journal spirituel. Si on retrouve dans son texte l’oscillement entre effacement et affirmation du sujet propre aux hagiographies et aux autobiographies de mystiques, celui-ci sert une mise en abyme de l’acte d’écriture dans un Occident largement déchristianisé. Où le religieux sépare bien plus souvent qu’il n’unit.

Dans ce contexte, l’écriture peut-elle encore avoir une quelconque utilité ? Peut-elle soigner ou ne serait-ce qu’apaiser quelques maux ? La question traverse le récit, nourrie par des allers et retours constants entre le concret médical et l’abstrait littéraire. En collectant les souvenirs des différentes preuves des bienfaits de ses livres sur les lecteurs, Patrick Autréaux tente de délimiter les contours d’une littérature capable d’accompagner la maladie. Et surtout la solitude qui lui succède. L’acuité du psychanalyste préserve le récit de toute forme de narcissisme : Patrick Autréaux sonde son rapport à l’écrit sans arrogance ni fausse modestie. Comme un homme revenu de loin, qui jouit de la capacité de pouvoir simplement penser et soumettre à examen son existence d’avant la maladie.

Malgré son goût du référentiel et sa précision quasi clinique dans l’exposé de ses méandres littéraires, l’auteur déploie ainsi une écriture ludique et charnelle. Et ce malgré la mort de Max, qui condamne Patrick Autréaux à une nouvelle forme de solitude. Voire d’orphelinat. La Voix écrite est un livre de relève, contre l’abattement qui menace de toutes parts.