La Croix, 16 novembre 2017, par Élodie Maurot

Philosophie de l’adolescence

L’adolescence vue comme la prise de conscience de la finitude humaine

Bien peu de philosophes se sont aventurés sur les terres  de l’adolescence. Depuis un siècle, psychiatres, psychanalystes et psychosociologues en sont devenus les « experts ». Mais le philosophe a aussi des choses à dire sur ce « moment », comme le prouve l’ouvrage stimulant et exigeant de Paul Audi.

Dans ce livre, l’adolescence ne se réduit pas à l’âge dit « pubertaire », voué par principe à être traversé et abandonné derrière soi. Elle n’est pas une simple période charnière entre l’enfance et l’âge adulte, mais une « période de crise, de crise profonde (…) prenant ici le sens d’interruption ou de rupture, de scission ou de séparation ».

Pour Paul Audi, l’adolescence se caractérise par un drame métaphysique, lié à la « première confrontation » de l’individu avec la finitude humaine. L’homme sort de l’enfance en prenant conscience « de ne pas pouvoir être à l’origine de son être, de ne pas pouvoir décider, ni intellectuellement ni physiquement, de sa venue dans la vie ». À l’adolescence, il se découvre « être impuissant quant à sa naissance et, donc, tout aussi bien, quant au fait même qu’il soit envie ». Il se voit endetté et perçoit l’impossibilité radicale de son acquittement.

Ce que fera l’adolescent de cette dette décidera de son entrée, ou non, dans l’âge adulte. À travers des exemples puisés dans la littérature (Genet, Kafka, Shakespeare, Rimbaud), Paul Audi développe trois manières d’affronter l’endettement : « présumer de soi », « se consumer » ou « s’assumer ». Il relit les attitudes typiques de l’adolescence – comme la honte, la plainte ou le désespoir – à l’aune de cette confrontation avec l’impuissance.

Finalement, l’adolescence est le temps d’une « décision à prendre quant à soi ». Choisira-t-on ou non de reconnaître la dette ? Tout se joue dans cette question, qui fait de l’adolescence, selon Paul Audi, « le grand moment éthique de l’existence »…