Camilo José Cela

Et Cela ne choquera plus personne
Camilo José Cela est mort, cela lui pendait au nez, tous ceux qui parlent de la mort sans respect sont à peu près sûrs d’y passer. Il disait : « La vie de l’homme est une farce que l’on devrait siffler », il avait 85 ans, il aimait rire, il n’aimait pas tellement que l’on rie de ses blagues, il préférait inquiéter. Lorsqu’il reçut le prix Nobel en 1989, il dit qu’il l’attendait depuis l’âge de sept ans, depuis son premier poème. Son humour était assez anglais pour qu’on ne le comprenne pas toujours, il disait que c’était à cause de sa mère (née Trulocky Bertorini), une langue, l’anglais, dont il s’appliquait à ne pas comprendre le moindre mot bien qu’elle fût comme le galicien et le castillan, une de ses trois langues maternelles.
Il était né le 11 mai 1916 à Ira Flavia près de La Corogne et publia à 26 ans son œuvre la plus célèbre, la plus brutale qui secoua l’Espagne endolorie de franquisme : La Famille de Pascal Duarte, où un petit paysan d’Estremadure tue pour la seule raison que la violence lui est naturelle. Le livre fut interdit dès sa deuxième édition en 1942 pour immoralité. On en connaît aujourd’hui plus de 1 500 éditions différentes et il est étudié dans toutes les écoles castillanes. Son deuxième roman, celui qu’il préfère, La Ruche, faute d’imprimatur fut publié à Buenos Aires. Puis il devint un écrivain prolifique, à la fois craint, honoré et suspect, s’aventurant dans tous les domaines : romans, poésie, théâtre, journalisme, contes, érotisme, linguistique, autobiographie, récits de voyage.
Franquiste. Il aimait par-dessus tout la musique de sa langue et dérouter ses admirateurs. Il pouvait à la fois siéger à l’Académie royale (il en fut le plus jeune membre en 1957, hier, il en était encore le doyen), et publier son Dictionnaire secret que les académiciens jugeaient provocateur et ordurier.
Il fut victime de la censure plus qu’à son tour, et par ailleurs ne cacha pas (ou mal) ses sympathies franquistes, ni les quelques pas qu’il fit aux côtés des censeurs eux-mêmes. Il vécut les dernières décennies de Franco dans une sorte d’exil intérieur aux Baléares. Passait pour un snob lorsqu’il voyageait dans sa Rolls aux rideaux tirés pilotée par une splendide Noire, mais tous les Espagnols le connaissaient parce qu’on pouvait voir sa photo sur toutes les pompes à essence Campsa, où il vantait le guide gastronomique de la marque. Il était écrivain avant tout et à celui qui lui demandait : « Comment vous définiriez-vous vous-même pour quelqu’un qui ne connaît pas votre œuvre ? » il répondait : « Quelqu’un qui ne connaît pas mon œuvre n’a aucun besoin de la connaître. »

Jean-Baptiste Harang, Libération, 13 janvier 2002

Aux éditions Verdier

Prix Nobel de littérature, 1989