Didier Daeninckx

La Repentie

Récit

Collection : Collection jaune

96 pages

9,13 €

978-2-86432-312-9

septembre 1999

Il est bien lourd le bagage que Brigitte emporte lorsqu’elle quitte, après plusieurs années de détention, la prison de Fleury-Mérogis. Contrainte d’adopter une fausse identité, elle se laisse guider par le hasard jusqu’à Saint-Nazaire où, sous les traits de Stellio, le pêcheur d’épaves, elle rencontre son double.

Accident ou faute, le passé fait retour dans la trame des jours qu’on aurait voulu neufs, jusqu’à ce que le piège se resserre et que les destinées volent en éclats.

— Tu es prête, Brigitte ?
La jeune femme se lève et, au passage, jette son mégot dans le filet d’eau qui suinte des W.-C. Les cris se sont tus. Ses compagnes la toisent, sans un mot, jusqu’à ce que la porte en se refermant trace une frontière définitive entre leurs mondes respectifs. Cela fait des années qu’on ne lui a rien demandé, que tout dans sa vie, jusque dans les moindres détails, a été pensé par des hommes sans visage, puis imposé par d’autres inconnus. Il lui faut maintenant, par le seul fait de respirer de ce côté-ci de la porte, redevenir maîtresse de ses gestes, de ses pensées, de ses décisions. Dans la cour, un camion de la pénitentiaire décharge sa cargaison de malheur, de révolte et de soumission. Serrer les poings, solidaire malgré tout. Les matons la contrôlent une dernière fois, lui font répéter son nom, Sélian, Brigitte Sélian, avant d’actionner le mécanisme du portail électrique, et Brigitte, tête baissée, dépasse le groupe des amis des autres, parents de prisonniers qui gueulent, les mains en porte-voix, pour répondre aux cris qui fusent des fenêtres. Elle ne se retourne pas sur la masse écrasante de la taule, et traverse le paysage à découvert en direction des taxis garés au bord de la nationale. Il ne lui reste qu’une dizaine de mètres à couvrir quand une Renault anonyme quitte le parking du personnel et vient se porter à sa hauteur. Ils sont trois à l’intérieur, visages standard de mâles en chasse, costumes gris plus ou moins remplis tassés sur des housses écossaises. La vitre du passager se baisse, à l’avant. Elle ne le connaît pas mais elle sait ce qu’il veut avant même qu’il ait articulé le moindre son.
— Allez monte, on t’attendait.
Brigitte prend place à l’arrière, soumise, et la voiture parcourt quelques kilomètres pour rejoindre une station-service à l’abandon, saturée de tags. L’homme assis près d’elle se retourne pour s’assurer que personne ne les a suivis, avant de sortir une enveloppe kraft de sa poche intérieure.

L’Écho de la Presqu’île, 29 octobre 1999, par Veronik Blot

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