François Bon

Paysage fer

Récit

Collection : Verdier/poche

128 pages

8,90 €

978-2-86432-776-9

octobre 2014

(collection d'origine : collection jaune)

Tout un hiver, chaque jeudi, le train Paris-Nancy.

On suit la Marne, puis la Meuse et la Moselle.

Vieilles usines défaites, gares désertes, cimetières au pied des immeubles… Vient le temps des inondations, ensuite de la neige. De semaine en semaine, l’éclairage diminue, les villes s’allument.

La cimenterie, la boîte de nuit, c’est à Toul ou à Commercy ? À chaque trajet, de cette matière fascinante et profuse, on enrichit le détail par écrit, sans revenir sur l’état premier.

Travail du regard sur ces apparitions répétées, fragmentaires, discontinues, afin d’inscrire la réalité dans un espace recréé jusqu’à ce que forme et construction l’emportent sur le chaos de la vision – beauté arrachée à un paysage dévasté pourtant tellement riche d’humanité.

 

Cet ouvrage a reçu le Prix France Culture / revue Urbanisme « La ville à lire » 2000.

La géographie en fait on s’en moque, c’est la répétition qui compte, les images qu’on ne saurait pas, à cette étape-là, remettre dans l’ordre, à peine si chaque fois qu’on les revoit on en arrive maintenant à se dire : cela déjà on l’a vu, cela déjà on le sait, et l’entassement de choses, plastiques et fer, énigmes blanches sous bâche ou bâtiments sans explication affichée dans les travées vides qui les séparent, dans l’arrière étroit de ce pavillon contre voie, comme ailleurs cette pure sculpture de deux voitures identiques accolées par l’arrière, sans moteurs ni portes, au coin bas du champ ou la hiératique maison blanche dans la rue d’en haut, à Toul, habitée quand même.

De Châlons à Vitry-le-François on est descendu en diagonale plein sud-est, de Vitry-le-François à Révigny on est remonté nord nord-est, et de Révigny à Bar-le-Duc on a repris sud-est, maintenant on continue droit vers cet endroit plus blanc dans le ciel qui marque le soleil absent, par Longeville-en-Barrois puis Silmont le minuscule et Guerpont, le canal toujours auprès et l’Ornain bordé de jardins, c’est à Nançois-sur-Ornain qu’on quitte l’embranchement qui desservira Ligny puis Chaumont, on remonte plein nord-est, on le sait : le soleil a tourné, on a quitté la direction plein est qu’il nous faudrait, l’est reste un aimant sûr mais à partir de quoi on vous manipule un train comme une allumette, le bâton incliné dans un sens puis dans l’autre d’un coup de doigt avec nous dedans, et tous ces gens qui montent à Châlons pour descendre à Vitry-le-François comme si l’une ne pouvait vivre sans l’autre. Puis une grande plaine et des bois, par Willeroncourt, Ernecourt et Chonville puis Cousances-aux-Bois, qu’on retombe à Vadonville sur un nouveau canal et que l’allumette est d’un nouveau coup de doigt réorientée sud-est presque à angle droit, face à Pont-sur-Meuse et Boncourt qu’on arrive à Commercy, ralentissement dédaigneux du train qui ne s’arrête pas, maintenant en vieux pays d’industrie, après Ville-Issey Sorcy l’aciérie dans son étui impeccable (Tréfileurope) puis Troussey toujours au long du canal, deux tunnels après Pagny-sur-Meuse on arrive à Foug (le dancing) qu’à cause des deux tunnels on reconnaît facilement, après Foug les pans de brique de la fonderie si longue comme un bâtiment rajouté à un autre bâtiment et recommencer même si tout ça tourne le dos au train, un avalement par l’orange sombre, halls ouverts sur le noir et dans la profondeur de l’usine des engins de chantier comme de la refaire toujours, l’usine se prolonge dans les champs par des îlots de ferraille à rouiller et c’est maintenant Écrouves, au lointain on a mis longtemps à s’apercevoir qu’elle était là, la prison, muette et sourde entre miradors quand on se retourne vers l’arrière, puisque tout ce qu’on regarde c’est le mur peint à fresques de la boîte de nuit sous enseigne L’Évasion, Toul arrêt, les repères par répétition se forment.