Poèmes. Édition bilingue. Traduit de l’allemand par Jean-Yves Masson

Collection : Verdier/poche

96 pages

8,00 €

978-2-86432-507-9

août 2007

Moins lu en France que d’autres œuvres majeures de Rilke, Requiem fut, de son vivant, l’un de ses textes les plus largement diffusés. Écrits en 1908 et dédiés à un très jeune poète suicidé et à une artiste peintre à laquelle Rilke avait été presque fiancé avant d’épouser Clara Westhoff, dont elle était l’amie, ses deux volets représentent une expression déjà pleinement maîtrisée des thèmes qu’amplifieront les Élégies de Duino.

Pour la première fois depuis les Nouveaux poèmes, Rilke se détourne du monde objectif et de « l’apprentissage du regard » qu’il s’était fixé pour tâche, et revient à la question de la mort qui le hantait dès ses premiers poèmes, cherchant à lui donner une réponse qui ne relève d’aucune religion instituée.

Deux autres « Requiem », l’un de 1900, l’autre de 1915, complètent la présente édition.

Es-tu encore là ? Dans quel recoin es-tu ? –
De tout cela tu as eu une si ample science,
tu as pu accomplir tant de choses en t’éloignant ainsi,
ouverte à tout, comme un jour qui commence.
Les femmes souffrent : aimer veut dire être seul,
et les artistes parfois dans leur travail pressentent
que leur devoir, quand ils aiment, est la métamorphose.
Amour, métamorphose : tu entrepris l’un et l’autre ; il y a l’un
et l’autre dans Cela qu’à présent falsifie une gloire qui te les dérobe.
Hélas, toi qui fus loin de toute gloire. Toi qui fus
de peu d’apparence ; qui avais sans bruit replié
ta beauté en toi-même, comme on baisse un drapeau
au matin gris d’un jour ouvrable,
et ne voulais rien d’autre qu’un long travail, –
travail qui n’est pas accompli : non, hélas, pas accompli.
Si tu es encore là, s’il reste encore
dans cette obscurité une place à laquelle ton esprit
vibre sensiblement, à l’unisson des ondes planes et sonores
qu’une voix, solitaire dans la nuit,
suscite dans le flux d’une haute chambre :
Alors, écoute-moi : Aide-moi. Vois, nous allons nous aussi
glisser, nous ne savons quand, revenir de notre avancée vers
quelque chose que nous n’imaginons pas, où
nous serons empêtrés comme dans un rêve,
et dans quoi nous mourrons sans nous réveiller.
Nul n’est plus avancé. À tous ceux qui ont soulevé leur sang
pour une œuvre qui s’avère longue,
il peut arriver de ne plus le tenir à bout de bras
et qu’il retombe, privé de valeur et vaincu par son poids.
Car il existe quelque part une antique hostilité
entre la vie et le noble travail.
Afin que je la discerne et la dise : aide-moi.
Ne reviens pas. Et donc – si tu le supportes–
sois morte chez les morts. Les morts ont fort à faire.
Aide-moi pourtant, sans dissiper tes forces,
comme m’aide parfois le plus lointain : en moi.

 

Fin du poème Requiem pour une amie