Yoko Tawada

Le voyage à Bordeaux

Roman. Traduit de l'allemand (Japon) par Bernard Banoun

Collection : Der Doppelgänger

144 pages

15,22 €

978-2-86432-584-0

août 2009

Romancière japonaise écrivant alternativement en allemand et en japonais, sans jamais se traduire elle-même d’une langue à l’autre, Yoko Tawada ne cesse de traquer le mystère de la différence des langues et des civilisations, dans un va-et-vient constant entre Orient et Occident.

Dans ce nouveau roman, elle s’invente un double, Yuna, Japonaise venue comme elle étudier en Allemagne et résidant à Hambourg. Yuna souhaite changer d’horizon : son amie Renée lui propose de se rendre à Bordeaux pour y apprendre le français en logeant dans la maison laissée vacante par son beau-frère, Maurice. Accueillie par celui-ci, Yuna découvre Bordeaux, mais parcourt surtout au fil des pages le labyrinthe de ses souvenirs faits de multiples rencontres, d’amitiés durables ou éphémères. Sur son carnet, les idéogrammes de sa langue maternelle lui servent encore de fragile aide-mémoire.

À la Piscine Judaïque de Bordeaux, Yuna perdra le dictionnaire allemand-français qu’elle avait emporté avec elle, emblème des repères incertains qui permettent le passage d’un monde à l’autre. Car ce voyage est pour l’héroïne un itinéraire initiatique, une mise à l’épreuve, et pour Yoko Tawada une manière de renouveler et de subvertir la tradition du roman d’apprentissage.


Jusque-là, Yuna n’avait jamais joué sous le toit d’un théâtre ou, comme on disait généralement à Hambourg, sur une scène. Elle n’avait jamais échangé un mot avec des gens de théâtre, si tant est qu’il y ait une sorte de gens qu’on puisse qualifier de gens de théâtre. Le bruit de l’existence de ces prétendus gens de théâtre était parvenu aux oreilles de Yuna pour la première fois par la bouche d’Ingrid. La future héritière originaire de Blankenese parlait encore à l’époque d’un Italien qui était de ces gens de théâtre et s’était dit prêt à monter ses pièces au cas où elle en écrirait. Parmi ses amis, nul ne savait si elle en avait seulement commencé une. Toujours est-il que, le jour où elle hérita d’une maison, cette pièce de théâtre commencée un jour, ou jamais commencée du tout, fut mise au panier. On n’écrit pas de pièce quand on sait qu’un jour ou l’autre on va hériter, avait déclaré l’une de ses amies.
Renée dévisageait avec curiosité l’étudiante aux joues rouges qui parlait de gens de théâtre ou de son souhait d’entrer en contact avec eux. Renée ne savait pas non plus ce qu’étaient des gens de théâtre, mais elle proposa quand même tout de suite à Yuna d’aller boire un café avec elle pour discuter plus en détail de ce projet.

Le rêve de Yuna était de devenir comédienne et de dire son texte en langue étrangère. C’était un rêve puisqu’elle avait souvent rêvé qu’elle se tenait sur une scène et récitait un long monologue en une langue inconnue d’elle. Elle portait sur la tête une couronne d’herbe et savait que la couronne n’était pas en lauriers tressés, mais en fleurs de pensées.
Des phrases étrangères coulaient en elle et s’écoulaient d’elle. Après chaque phrase Yuna avait peur de ne plus pouvoir parler. Or il suffisait qu’elle garde son crâne ouvert pour permettre aux phrases d’y couler. Était-elle toujours éveillée ou déjà en train de perdre connaissance ? Yuna n’en savait rien. Elle avait la chair de poule, la partie inférieure de son ventre était brûlante et tremblante.

Les deux femmes étaient assises à la terrasse d’un café. Mon rêve est de devenir comédienne, avait dit Yuna à Renée en pensant qu’un cauchemar aussi est un rêve, peut-être le rêve entre tous les rêves. Renée avait demandé, étonnée : Ce qui veut dire que vous n’êtes pas encore comédienne ? Yuna avait rougi, toussé et ouvert son sac à dos bien qu’elle n’eût rien du tout à en sortir. Yuna n’aurait pas eu à avoir mauvaise conscience si elle avait su à ce moment-là qu’il arrivait souvent à Renée de mentir. Renée ne mentait pas explicitement, mais il lui arrivait souvent de passer sous silence l’embonpoint pour insister en contrepartie sur la ceinture. Elle disait par exemple que son père était du genre artiste mais ne révélait jamais quel métier avait été le sien en réalité. Elle racontait combien il lui arrivait d’être affectueux avec elle, mais jamais comment il traitait les autres.

Centre national du livre, 12 octobre 2009, par William Irigoyen

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Le Poing et la Plume, blog d’Arte, 22 septembre 2009, par William Irigoyen

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