Paul Celan

Entretien dans la montagne

Traduit de l’allemand par Stéphane Mosès. Suivi de « Quand le langage se fait voix » par Stéphane Mosès

Collection : Der Doppelgänger

56 pages

9,63 €

978-2-86432-342-6

septembre 2001

Composé en août 1959, l’Entretien dans la montagne, l’un des très rares écrits en prose de Celan, occupe une place centrale dans son œuvre. Sa rédaction intervient quelques mois après la parution de Grille de parole, son troisième recueil ; sa publication en revue l’année suivante précédera de peu l’attribution à Celan du prix Büchner, qui lui donnera l’occasion d’écrire le célèbre discours de Darmstadt intitulé Le Méridien.

L’Entretien dans la montagne fut écrit en souvenir d’une rencontre manquée avec Theodor W. Adorno, qui aurait dû avoir lieu en juillet 1959 à Sils Maria. Dans Le Méridien, évoquant le lien entre ce texte et le Lenz de Büchner, Celan le définit comme un chemin « de moi vers moi ». Dans l’étude qui accompagne la traduction que nous publions aujourd’hui, Stéphane Mosès montre comment ce bref texte accomplit, sur l’horizon de cette absence, « un trajet à travers la forêt des mots, trajet au cours duquel un langage anonyme se transforme peu à peu en parole de sujet, un Il en Je et Tu, un récit en discours ».

Avec cette métamorphose, ce dont il s’agit ici, c’est de répondre à la formule qu’avait risquée Adorno (et sur laquelle il fut amené à revenir), estimant qu’il était « barbare » d’écrire des poèmes après Auschwitz. « Pour Celan au contraire, écrit Stéphane Mosès, le langage frappé au plus intime de ses pouvoirs peut renaître, mais à condition d’assumer jusqu’au bout sa propre culpabilité. »

Un soir, le soleil, et pas seulement lui, avait disparu, le Juif s’en alla, sortit de sa petite maison et s’en alla, lui le Juif et fils d’un Juif, et avec lui s’en alla son nom, l’imprononçable, il s’en alla et s’en vint, s’en vint, clopinant, se fit entendre, s’en vint bâton en main, s’en vint foulant la pierre, m’entends-tu, tu m’entends, c’est moi, moi, moi et celui que tu entends, que tu crois entendre, moi et l’autre – donc il s’en alla, on pouvait l’entendre, s’en alla un soir, alors qu’un certain nombre de choses avaient disparu, s’en alla sous les nuages, s’en alla dans l’ombre, la sienne et l’étrangère – car le Juif, tu le sais, qu’a-t-il donc qui lui appartienne en propre, qui ne soit emprunté, prêté et jamais restitué – donc il s’en alla et s’en vint, s’en vint de par la route, la belle, l’incomparable, s’en alla comme Lenz, à travers la montagne, lui que l’on avait laissé habiter tout en bas, là où est sa place, dans les basses-terres, lui, le Juif, s’en vint et s’en vint.

La Quinzaine littéraire, 1er mars 2002, par Georges-Arthur Goldschmidt

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