Christian Garcin

Labyrinthes et Cie

Collection : Collection jaune

80 pages

10,14 €

978-2-86432-384-6

mars 2003

Il peut paraître surprenant de voir associés en un même ensemble critique Henri Thomas et António Lobo Antunes, Franz Kafka et Eugenio Montale, ou encore Borges et Antoine Volodine. Sauf que la pluralité des lectures et des plaisirs se joue souvent des familles littéraires. Pour Christian Garcin, ces écrivains-là n’en restent pas moins, à des degrés divers, représentatifs d’une conception dense, exigeante, « verticale », de la littérature. Le fil invisible qui les relie, c’est du côté de Borges qu’il faut le chercher. Le labyrinthe, figure emblématique de l’univers borgesien, dessine dans l’espace textuel d’improbables rencontres, des bifurcations, des échos, des indices disséminés qui prennent sens bien après qu’on les a dépassés. On y chemine de couloir en couloir, c’est-à-dire de monde en monde, c’est-à-dire d’univers romanesque en univers romanesque, et à arpenter ainsi cet espace de mots, on devient le lieu labyrinthique où se réunissent ces univers apparemment disparates. Dans la chambre centrale trône toujours le Minotaure argentin et aveugle qui de près ou de loin hante tous ces textes.

[…] Car il faut bien dire qu’il est tout à fait possible de trouver des labyrinthes absolument partout dans l’œuvre de Borges : dans l’espace et le temps, dans le mécanisme de la narration, dans l’onomastique, dans la multiplicité des indices disséminés çà et là. Partout en effet il y a des thèmes symétriques (dans l’espace textuel en effet, la représentation du labyrinthe peut se définir par une réduction du multiple au double, et du double à l’Un. Le multiple, ce sont les couloirs, et la multiplicité des bifurcations. Le double, c’est la dernière rencontre, au dernier carrefour. L’Un, c’est le mystère de la chambre centrale. La symétrie des thèmes est la représentation dans l’espace textuel de la rencontre avec l’Autre avant la chambre centrale) : des doubles et des miroirs, des losanges de couleurs, des murs roses, des masques, des grilles et des livres infinis. Labyrinthes aussi dans l’assemblage des textes entre eux : ils regorgent de symétries, de répétitions, qui se répondent de part et d’autre d’un centre invisible. Dans un même recueil, par exemple L’Aleph, la description par Cartaphilus de la Cité des Immortels vient répondre à celle de Ravenne vue par Droctulft ; la notion d’« enfer personnel » est commune à Deutsches Requiem et Le Zahir ; dans ces deux mêmes contes on trouve des tigres dessinés ; L’Écriture du dieu et L’Aleph parlent de « fils dans une trame » ; La Quête d’Averroës et Deutsches Requiem du « labyrinthe des générations » ; La Mort et L’Attente possèdent une fin quasi-identique. Tous ces doublons, vers quelle rencontre ultime ? Vers l’Aleph probablement, le lieu de tous les lieux qui donne son nom au conte et au recueil. Le recueil en lui-même est donc labyrinthique, de la même façon que l’est chacune des nouvelles qui le composaient.