Alain Lercher

Prison du temps

Collection : Collection jaune

160 pages

13,79 €

978-2-86432-236-8

avril 1996

Mélange de réflexions, de rêveries et de récits brefs, ce recueil croise les moments d’une vie qui, pour être celle de l’écrivain, n’en est pas moins celle d’un homme fait de tous les hommes.
« Le simple fait de vivre émeut et donne à penser. » Pour dire ce qui est sur soi et les autres, pour saisir le monde dans son chatoiement ou sa violence, Alain Lercher en appelle autant à l’activité de l’esprit qu’à celle de la sensibilité, voire de la sensualité. Le désir, l’amitié, les affections diverses et la mort sont évoqués sans complaisance, avec la distance qu’exige la sincérité. Et c’est de la sobriété même de la langue, précise et incisive, que naît l’émotion.
L’art et l’écriture ont dans cet ensemble une place de choix, même si leur pouvoir de soulèvement ne s’exerce pourtant lui aussi que dans la prison du temps.

Adorno s’est posé une question qu’il a crue terrible : peut-on encore écrire ou peindre après Auschwitz ? Mais la réponse est oui, puisque nous avons survécu à Auschwitz, l’œuvre de Gerz le prouve, comme aussi celle de Celan, malgré son suicide. Et ce oui inclut évidemment la possibilité et le devoir pour l’artiste de regarder en face Auschwitz et de faire de l’art avec Auschwitz, ce qui ne consiste pas à décorer les grillages des camps, mais à proposer aux hommes une représentation de ce qu’il y a de pire dans l’homme, le désir de nier, et de ce qu’il y a de plus fort, le désir de durer, car l’art n’a jamais eu à faire qu’avec les forces les plus violentes, l’affirmation et la négation, la vie et la mort, le corps qui se donne et celui qui se refuse, l’éblouissement du soleil et la peur du noir, et, en s’efforçant de les représenter, l’artiste aide l’homme à savoir qui il est et par là, sans doute, à échapper à son animalité. Ceux qui se satisfont de décorer les palais nationaux – c’est leur droit – n’ayant pas la modestie de s’accepter pour ce qu’ils sont, des décorateurs, trouvent quelque intérêt à nous faire croire à la mort de l’art, à son impossibilité, ou à une dérisoire post-modernité. Il ne faut pas les croire, c’est tout. Aussi longtemps que nous échapperons partiellement à notre condition zoologique, il y aura de l’art, et la plus ou moins bonne santé de tel mode d’expression à telle époque n’est qu’un épiphénomène. En dépit des apparences du moment, je pense que la poésie a plus d’avenir que le roman. Si l’épopée paraît morte, si le théâtre ne survit que sous perfusion, ne parions pas sur leur disparition définitive, seulement sur un sommeil plus ou moins long.

« Panorama », France Culture, 5 août 1996
« Un livre, des voix », France Culture, 4 juillet 1996
« Du jour au lendemain », par Alain Veinstein, France Culture, 19 juin 1996