Jacques Réda

Le Lit de la reine

et autres étapes

Collection : Collection jaune

96 pages

9,94 €

978-2-86432-332-7

février 2001

Même si ce n’est pas toujours sous la garde de Cassiopée ou sous l’œil de Vénus, on dort toujours à la belle étoile. Il n’y en a souvent en effet qu’une seule, ou deux, quelquefois pas du tout, mais le clignotement de l’imaginaire et le passage d’une comète humaine peuvent alors en tenir lieu.

Si vous devez vous rendre à Besançon ou à Grenoble, dans le Beaujolais ou dans les Vosges, en Angleterre ou au Portugal, n’emportez pas ce petit guide des nuits qui prolongent à leur façon le voyage : consultez-le plutôt avant de partir. Vous y trouverez sans doute d’utiles conseils sur le meilleur moyen de dormir (ou de ne pas dormir), que ce soit dans la chambre d’une reine, dans une salle d’attente vide ou au flanc fraternel d’un talus.

Modeste, la ville disparaît derrière de grands parcs dont les branches, descendant très bas, semblent, avec l’éloignement, ne laisser entre leur sombre épaisseur et les pelouses phosphorescentes qu’un intervalle aussi intime, aussi moelleux, que celui qui sépare un lit de sa couette quand on s’y enfonce. Pourquoi ne pas y dormir ? À cause de cette humidité perfide, entre Vôge et Xaintois, qu’on sent dès le coucher du soleil sourdre des terres gorgées. Mais j’y pensais, pris d’une timidité paralysante à l’idée d’affronter encore la tête que font les gens quand la mienne apparaît en fin de journée, et tout mon attirail de camp-volant qui légitimement les effare. Même très sûr de soi d’ailleurs on n’aime guère ce genre d’hôtels-villas-pensions supposant (sinon, non : il n’y a plus de chambre libre) l’obligation de dîner seul à n’en plus finir sur une nappe devant trois verres, des couverts lourds, au milieu de couples et de familles comme oints par l’air de la villégiature. Cette situation les élève à un haut niveau de dignité : il n’est rien de ce qu’ils condescendent à entendre, ou à observer (votre journal, l’écossais plébéien de votre chemise), qui en quelque façon ne constitue pour eux une offense. Dans les allées où depuis bientôt un quart d’heure je tourne en rond, quelques-uns de ces personnages d’élite garent solennellement leur voiture, pompeusement gravissent le perron de ces villas, insensibles à ce que leur apparence coquette mais complexe m’évoque en fait d’horribles histoires d’otages et de séquestration, de cadavres enterrés dans la cave sous les casiers à fines bouteilles. Merci beaucoup. Je devine qu’en ce moment ils prennent des douches trop abondantes, peut-être à l’eau de Vittel, troquent leurs vêtements de tennis blancs contre d’autres plutôt beiges, laminés par le fer, et même leurs gosses domestiqués changent volontiers de chaussettes.

« Du jour au lendemain », par Alain Veinstein, France Culture, jeudi 5 avril 2001

« Trafic d’influence », par Philippe Bertrand, France Inter, mardi 27 mars 2001

« Traitements de textes », par Christian Giudicelli, France Culture, vendredi 23 mars 2001

« Un livre », proposé par Monique Atlan, France 2, mardi 6 mars 2001

« Un livre, un jour », par Olivier Barrot, France 3, jeudi 1er mars 2001

« Carnet nomade », par Colette Fellous, France Culture, vendredi 16 février 2001