Roman. Traduit par Dominique Blanc

Collection : Otra memoria

448 pages

21,30 €

978-2-86432-418-8

septembre 2004

Un court fragment énigmatique de la Genèse, celui qui traite de la confusion des langues, inspire les personnages et le monde en apparence intemporel d’Éden.
Samuel Molina est traducteur dans une ville où la multiplication des langues a plongé les habitants dans l’incommunicabilité. Dominée par l’ombre d’une Tour en construction, la ville décrite ici n’est pas une ville du passé : elle est, à l’image de la Babel de la Bible, la métropole dans laquelle nous vivons et vivrons dans le futur.
Engagé pour la traduction d’un mystérieux Livre, écrit dans un idiome inconnu, Samuel Molina va devoir mettre à l’épreuve ses extraordinaires dons d’interprète. La commande, vitale pour la cité, l’est aussi pour Samuel dont les problèmes visuels et les déboires avec une administration aussi absurde qu’omniprésente mettent en péril l’identité et la vie.
La quête du sens caché d’un texte qui se dérobe va de pair avec la recherche pleine d’espoir de l’amour d’une femme inaccessible.

Une fois assis à sa table de travail, bien qu’il soit environné d’une infinité de petits bruits produits par ses camarades, il essaya de se concentrer sur son travail. Et, confronté au livre de Decelis, son esprit ne tarda pas à se perdre dans les sinuosités hypnotiques de son graphisme. En quelques minutes, le problème soulevé par le vieux Luna se perdit dans cette houle d’écriture suggestive dont les formes lui proposaient des fragments de visions et de désirs mais aucun élément de compréhension.

Dès l’instant où Urrutia avait mis le livre entre ses mains, il s’était concentré sur son interprétation. Il avait examiné le texte pendant des jours, en essayant de découvrir des signes qui se répéteraient, des règles ou des indices de relations, sans trouver la moindre ressemblance entre ce qu’il aurait voulu définir comme des lettres d’un alphabet ou des idéogrammes, mais qui n’était rien d’autre qu’un flux en perpétuel mouvement. Il avait étudié en vain de vieux codex reproduisant des idéogrammes précolombiens, des caractères asiatiques, des hiéroglyphes hittites et égyptiens, des écritures cunéiformes et des codes sacrés, et il en était arrivé à imaginer que l’écriture du livre pourrait correspondre à une notation musicale impénétrable ou à une façon très ancienne et très complexe de noter la réalité. Malgré tout, le caractère chaotique et indéchiffrable de son écriture était ce qui l’attirait le plus dans le livre. Il devinait qu’il était inutile d’appliquer des formules pour tenter de déchiffrer ce code, et il comprenait aussi que la simple contemplation de cette écriture pouvait lui suggérer tout un monde de significations.

[…] Samuel referma le livre quand la pendule du bureau sonna l’heure. Son immersion dans cette incompréhension bénéfique avait éloigné de son esprit les problèmes soulevés par Urrutia et par Luna ce matin-là. Néanmoins, la visite nocturne de monsieur Osorio occupait toujours son esprit, même s’il percevait à présent les paroles du bourreau comme une chose lointaine et irréelle.