Anne Serre

Petite table, sois mise !

Collection : Collection jaune

64 pages

6,80 €

Epub : 4,49 €

978-2-86432-688-5

août 2012

Dans une série de scènes érotiques où la joie le dispute à l’énormité des situations et des propos tenus, Anne Serre se livre à un jeu de débordements qui, loin de déconcerter le lecteur, lui offrent un véritable enchantement.
Dans une scène originelle, «  la table au disque luisant  » fonctionne comme objet érotique mais aussi comme objet de divination, objet fascinant chargé de messages que la narratrice sera plus tard amenée à décrypter lorsqu’elle aura quitté l’enfance.
Elle rencontre aussi sur son chemin nombre de personnages qui seront pour elle autant de signes qui participeront secrètement à la construction de soi.
Au terme d’une errance à la fois dramatique et confiante, elle pourra enfin énoncer la formule magique du conte de Grimm : Petite table, sois mise  !
Jane Austen disait que «  les narrateurs doivent raconter un mystère  ». C’est bien un parcours énigmatique que trace ce récit qui a le charme et la résonance profonde d’un conte.

Je ne voudrais pas, en brossant à grands traits notre vie de famille – peut-être saurai-je être plus fine en avançant dans mon récit, au fur et à mesure que les souvenirs remonteront et affleureront pour moi sur le disque luisant de notre grande table –, je ne voudrais pas donner une image fausse de notre mère, car, je le vois bien, je cherche à circonscrire sa forme. Il semble que malgré les ans – qui n’ont pas recouvert tout cela d’une « fine pellicule de poussière » comme dit la chanson, mais déplacé ces impressions et émotions qu’il me faut seulement réunir – notre père nous soit toujours resté énigmatique. Il l’était au début ; il l’est resté. Alors que notre mère dont je scrute les regards où que je me trouve – en regardant les visages des actrices dans les films, en observant ceux de toutes les femmes partout ailleurs –, notre mère dont j’examine les positions érotiques afin de la voir en son centre, en son émoi qui révèle tout, ne me fut pas énigmatique. Ou alors tant et tant, que je vais dans un pays noir et inconnu lorsque j’approche sa forme aveuglante.
Mais comment la nommer sinon par son sexe, elle qui fut si oisive qu’il est impossible de rattacher sa forme à une activité en dehors de la maison, en dehors de nous ? Elle ne nous quittait jamais. Jusqu’à mes quinze ans, âge auquel je partis de la maison, elle ne nous quitta pas un instant. C’est nous qui allions et venions, sortions et rentrions, rapportant des nouvelles du dehors, n’en donnant jamais, sinon de fausses, du dedans. Elle restait à la maison dont nous savons maintenant la « charge érotique » (cela, Sade ne le dit pas), allant de sa chambre à la salle à manger où elle interrogeait le disque de la table, de la salle à manger à sa chambre. Où serait-elle allée ? Le bureau de papa lui était interdit ; elle n’entrait dans la cuisine que distraite, ne passait jamais de longues heures à la salle de bains. Elle cousait. Mal. Elle recevait Marjorie ou Bénédicte qui ne participa jamais à notre vie de famille. Il arrivait qu’elle sorte pour faire une course, mais c’était rare. C’était nous qui rapportions des provisions pour les repas ; papa ou Marjorie qui se chargeaient des autres emplettes.
Elle n’était pas emprisonnée par notre père qui jamais ne l’empêcha de sortir. C’était de son plein gré qu’elle restait là, contre la fenêtre, ne considérant même pas le jardin. Ses robes ? Elle sortait pour acheter des vêtements, mais pas plus de deux ou trois fois l’an. Des lectures ? Elle ne lisait pas. « J’ai en moi le démon de l’amour », disait-elle. Car elle parlait bien, souvent comme un oracle, et j’ai pensé parfois qu’en mettant bout à bout chacune de ses paroles, je formerais un livre. Mais il me faut l’appuyer, elle, contre le disque glacé de la grande table tantôt ronde tantôt carrée, toujours veloutée, toujours sombre, de la salle à manger, pour retrouver ces mots qu’elle nous disait. C’est une expérience assez extraordinaire, peut-être terrible, au cours de laquelle on est parfois contraint de mettre de la légèreté, de la folie douce. Il n’est pas facile d’attraper les poissons fuyants du réel ; il arrive que pour les saisir, on ait à mimer l’inconséquence, ou l’oubli.

Lecture publique, par Anne Serre et Marie-Armelle Deguy, au Centre Pompidou, le 17 mai 2014 :

La République des livres, 10 novembre 2012, par Pierre Assouline

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« L’attrape-livres », par Colombe Schneck, France Inter, mardi 19 mars 2013 à 5h44

« Le Tire lire », par Arthur Dreyfus, France Inter, samedi 9 mars 2013 à 5h40

« Le Rendez-vous », par Laurent Goumarre, France Culture, jeudi 20 décembre 2012 de 19h à 20h

Sur Paperblog.fr : interview d’Anne Serre, jeudi 5 décembre 2012

« Le carrefour de la culture », par Vincent Josse, France Inter, vendredi 30 novembre 2012 à partir de 6h46

« D@ns le texte », par Judith Bernard, @rrêt sur images, jeudi 18 octobre 2012

« L’attrape-livres », par Colombe Schneck, France Inter, lundi 1er octobre 2012 à 5h44

« Du jour au lendemain », par Alain Veinstein, France Culture, mardi 18 septembre 2012 de minuit à 0h35

« Mauvais genre », par François Angelier, France Culture, samedi 8 septembre 2012 de 22h à 0h

Traductions

¡Ponte, mesita!, traducción Javier Albiñana, Barcelona, Anagrama, 2014