Eugenio De Signoribus

Ronde des convers

Poèmes. Édition bilingue. Traduction de l’italien, annotation et postface de Martin Rueff. Préface d’Yves Bonnefoy

Collection : Terra d’altri

192 pages

20,29 €

978-2-86432-519-2

novembre 2007

La « ronde » désigne l’ensemble des humains pris dans leur voyage. Comme des enfants, ils font la ronde, formant un cercle dont le centre est absent.

La nudité de cette poésie est celle de l’homme moderne, abandonné à lui-même. Elle dit d’abord que la plus grande abstraction ne s’obtient pas en tournant le dos à l’histoire mais en y plongeant corps et bien sans l’espoir d’une issue dans un autre monde. Que dire des migrants ? Des victimes des guerres modernes ? Des enfants des conflits ? Et que leur dire ? Le poème doit trouver alors un dire à la hauteur de l’horreur. Il ne consiste ni à nous faire habiter le monde, ni à le fuir, ni à l’orner, ni à l’abhorrer. L’exposer : voilà la tâche du poème.

Le livre se déploie sur trois portées : politique, religieuse et poétique que le lecteur est invité à tenir ensemble.

Paru en Italie en 2006 et salué par la critique comme un véritable chef-d’œuvre, Ronde des convers est le premier recueil d’Eugenio De Signoribus publié en France.

« Je crois que la poésie, en plus de mémoire et mélancolie, est aussi pressentiment…, une vaste mer, émotive et perceptive, devant laquelle qui naît témoin est nu… le langage poétique est le tissu qui tout autour se forme et se développe, il est son vêtement » (Eugenio De Signoribus).

Ronde des convers, le dernier recueil d’Eugenio de Signoribus, regroupe des poèmes composés entre 1999 et 2004. Il s’agit du premier livre de cet auteur traduit en français. Publié en 2005, il a été tout de suite salué par la critique comme un authentique chef-d’œuvre où convergeaient, en densité et en intensité, les différentes tonalités de ce grand poète – le plus grand, peut-être, de sa génération.

Eugenio De Signoribus est né en 1947 à Cupra Marittima sur la côte adriatique. Il vit encore dans ce village des Marches qu’il ne quitte qu’à de rares occasions. Cette côte mystérieuse qui offre l’horizon aux exilés de la pauvreté et de la guerre est vécue par le poète comme une terre ouverte sur un vide qui est aussi celui de l’histoire et qui interdit, en tout état de cause, les identifications politiques et personnelles tout en invitant à de tristes rêveries. De Ronde des Convers, Eugenio De Signoribus a pu dire : « Il se distingue des livres précédents parce qu’il est plus compact d’un point de vue émotif […] ; il naît de l’obscurité des temps présents, du besoin de repenser chaque chose, de sauver le bien en tentant d’identifier sa possibilité. La figure de référence est ici le témoin. Cette figure a plusieurs voix : elle est chorale ; elle est plurielle ».

Ronde des convers se compose de sept sections comprises entre une prémisse-promesse et un congé : Dans le passage du millénaire ; Dits des convers ; Tableaux de la pénitence ; Dialogue ; Stations dans la vie d’une ronde ; Arias du désir ; Chorales pour les terres saintes. Cette « semaine sainte » offre les images et les paroles des convers et ce recueil vibre tout entier d’un questionnement opiniâtre et douloureux. Nul piétisme dans cette sobre souffrance, car ce à quoi le convers est appelé à se convertir c’est à la pureté de la vie nue, à l’exposition même de sa nudité.

La « ronde » désigne d’abord l’ensemble des humains pris dans leur voyage. Comme des enfants, ils font la ronde, formant un cercle dont le centre est absent. La ronde offre alors l’image de la communauté décentrée, vouée aux terres « démantelées » ; elle indique, sans tonitruance, une politique à venir : un lien choisi, délibéré, main tendue et mains jointes.

La vision de cette ronde d’enfants ne saurait cacher une dimension plus littéraire : car Ronde des convers s’inspire avec soin du « pèlerinage » dantesque. C’est à la fois l’image du poète pèlerin et celle des cercles de l’enfer que De Signoribus reprend à Dante. On dirait volontiers de De Signoribus qu’il est le « pèlerin de la face nue ». L’espace de son pèlerinage est le langage lui-même. Il ne s’agit pas de dire que la ronde prend la place du cercle de Dante, mais qu’il y renvoie et, qu’en y renvoyant, il en reprend la triple signification concrète (géométrique et spatiale), figurale (il indique des niveaux de l’existence et des niveaux de cet enfer qu’est devenu notre monde où les « eaux infernales » sont réelles) et poétologique (il renvoie au langage et à l’art du langage). « Faire la ronde » c’est donc aussi faire le recueil et faire le poème.

Le livre se déploie sur de multiples portées. On en indique trois ; la portée politique, la portée religieuse et la portée poétique indissolublement existentielle. Si la critique peut avoir tendance à privilégier l’une ou l’autre, le lecteur, lui, est invité à les tenir ensemble.

Une telle poésie se veut d’actualité ; sa nudité est celle de l’homme moderne, abandonné à lui-même. La première section, Dans le passage du millénaire, dit bien que la plus grande abstraction ne s’obtient pas en tournant le dos à l’histoire mais en y plongeant corps et bien sans l’espoir d’une issue dans un autre monde. Que dire des migrants ? Des victimes des guerres modernes ? Des enfants des conflits ? Et que leur dire ? Le poème doit trouver alors un dire à la hauteur de l’horreur. Il ne consiste ni à nous faire habiter le monde, ni à le fuir, ni à l’orner, ni à l’abhorrer. L’exposer : voilà la tâche du poème.

« Sauver le bien en identifiant sa possibilité » telle est la formule exigeante de la conversion. Elle transforme le poète en témoin et, comme chez Celan, en témoin de témoins. Nul angélisme ici, mais la croyance tenace en l’efficacité du bien. Reconnaître le bien, c’est témoigner pour la privation, s’il est vrai qu’une grande partie du malheur de l’homme vient de ne pas savoir reconnaître la sagesse du dénudement et la part d’impuissance qui habite sa puissance.

Dès le titre, Eugenio De Signoribus prévient : le poème moderne opère un mouvement de côté. Il réfléchit sa propre démarche. Il évoque constamment l’écriture du poème. De fait, le mot « convers », outre sa dimension religieuse évidente, renvoie, en italien comme en français, à l’art des vers qui est aussi l’art de tourner la langue vers elle-même. Entendons bien : le vers est un retournement de la langue sur elle-même (le passage à la ligne), mais il est aussi un retournement de la langue vers son propre fait : le factum linguae. « Poème » nomme l’exposition nue de la langue. Il « démantèle » la langue et invente sa diction nouvelle.

C’est de tels livres que le lecteur de poésie a besoin aujourd’hui, et, au-delà, tout homme inquiet de formuler sa position dans la langue et le déchiffrement du monde. Oui, c’est de tel livre dont nous avons besoin, qui offrent en soulèvement et énigmes, le travail de transgression et de fondation de la langue, pour ne pas confondre le souci de l’engagement avec l’obsession du slogan.

La poésie ne répond pas aux injonctions de l’époque. Elle transforme l’époque en injonction.

Peuples sous le feu

 

les corps des eaux de l’enfer fument

sans fin émergeant des ruines

et courant d’une boucherie à un abri

 

l’anneau mortel brûle

rapidement toute foule vociférante part en fumée

et toute course inerte

 

et les comptes ne tournent pas rond, les identités,

parmi les morts distordus et les survivants

eux aussi dissous

 

en haut, en bas, les enfants parmi les tas de chaux

cherchent un morceau de soi

entre fin et commencement

 

l’âme qui convertit ici

est à la lettre consternée, elle est encore

sans être plus

Poezibao, 23 novembre 2007, par Ronald Klapka

La « prière unique » d’Eugenio De Signoribus

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La Quinzaine littéraire, nº 961, 16-31 janvier 2008, par Marie-José Tramuta

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« Surpris par la nuit », par Alain Veinstein avec Martin Rueff, France Culture, lundi 18 février 2008