Lutz Bassmann

Les aigles puent

Collection : Chaoïd

160 pages

16,23 €

Epub : 10,99 €

PDF : 10,99 €

978-2-86432-613-7

septembre 2010

Un homme, Gordon Koum, revient dans une ville détruite. Toute sa famille repose sous les décombres. Lui-même, irradié, va mourir. La guerre est partout, l’ennemi indescriptible frappe sans cesse… Près de lui il remarque un pantin noirci et la dépouille miraculeusement intacte d’un rouge-gorge.

Il se tourne vers eux pour parler, mais, au-delà, il s’adresse à ses enfants, à sa femme et à ses camarades disparus. Il raconte de petites histoires bizarres, cruelles, tendres, toutes marquées par un humour noir dévastateur. Et peu à peu il retrace la geste d’une communauté de fin du monde, où les faibles survivent en puisant leur force dans le rire décalé et dans une violence qu’ils savent inutile.
Réfugiés, errants, sous-hommes, éclopés vivant dans leurs rêves, personnages de l’après, voilà les héros dont Gordon Koum évoque la mémoire. Il leur rend hommage parce qu’il les aime. Et aussi parce qu’ils possèdent encore, au cœur du dénuement et du cauchemar, la lumière qui fait d’eux des résistants magnifiques, des amoureux, d’authentiques et indomptables humains.

Noë Balgagul était le patron du bac qu’il appelait son arche. C’était un ancien mercenaire qui prétendait avoir renoncé aux crimes contre l’humanité pour s’engager sur la voie purificatrice de la spiritualité. En réalité, les atrocités qu’il avait connues ou commises lui avaient à jamais brouillé la raison. Sa vision du monde avait noirci, elle était habitée par des monstres et des fantômes. La religion de Noë Balgagul ne prônait rien, ne se préoccupait pas de morale et ne donnait aucune explication à l’omniprésence de la souffrance dans le destin des créatures vivantes. Elle n’apportait ni soulagement ni espoir. C’était une construction obscure, dépourvue de divinités et même de principes magiques. Il avait obtenu cela en pétrissant maniaquement un goudron personnel de cruauté et de démence, et sur ce goudron ne venait pétiller aucune flamme rassurante. Les principes spirituels de Noë Balgagul se réduisaient à une pratique lugubre, dont il ne cherchait pas à diffuser les enseignements autour de lui, sinon dans son entourage immédiat, une bande de déserteurs et de brigands qui lui avaient fait allégeance.

On m’avait prévenu que Noë Balgagul procédait à une espèce de baptême au moment où les candidats à la traversée montaient dans son embarcation. Il encaissait d’abord leur dollar, puis il divisait ces malheureux en plusieurs catégories dont lui seul connaissait les critères. À ces catégories, toutes avilissantes, il attribuait des noms arbitraires, des noms d’animaux qui suscitaient le mépris de son équipage, mais qui surtout établissaient le fondement d’un jeu de rôles abject. Ce jeu durait ce que durait la lente traversée. Quelques clients réguliers échappaient parfois à cette obligation, mais les autres, non. Un à un, les passagers mettaient le pied sur son énorme barque à fond plat. Noë Balgagul prenait la pièce qu’ils lui tendaient tout en les examinant rapidement des pieds à la tête. Il leur désignait une place et, aussitôt, il les classait et les baptisait. Cette sélection obéissait à des principes religieux illisibles et, en dernière analyse, elle avait seulement pour origine les caprices et l’irascibilité mesquine de Noë Balgagul. Selon le titre qu’il avait reçu, le voyageur devait adopter des comportements de cochon, de perroquet ou d’humain femelle ou mâle. Il devait le faire avec détermination et même avec ferveur. Son sort en dépendait, et en cela il est vrai qu’il y avait une relation religieuse entre le totem dont il était affublé et les conséquences que sa mauvaise observation du rituel pouvait provoquer. Ceux qui mimaient trop mollement leur attribut étaient jetés à l’eau par l’assistant de Noë Balgagul, un spécialiste en escrime qui se réjouissait à l’idée de les piquer ensuite avec le crochet de sa gaffe et ne rechignait jamais à exécuter les directives assassines de son employeur. La rivière était mauvaise, sans transparence, des remous la ponctuaient, des bouillonnements fourbes. Elle faisait plusieurs centaines de mètres de large et Noë Balgagul n’expulsait personne de son arche avant d’avoir parcouru la moitié de la route. À de multiples endroits, des algues contrariaient les mouvements des nageurs. Les habitants de la ville, qui venaient de sortir de l’enfer de la guerre pour tomber dans l’enfer de la paix, étaient sans force. Bien peu parvenaient à regagner la rive.

Charybde 27 : le blog, 27 septembre 2015, par Marianne Loing

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