François Bon

L’enterrement

Récit. Prix Paul Vaillant-Couturier

Collection : Collection jaune

128 pages

10,65 €

978-2-86432-142-2

janvier 1992

Dans un village près de la mer, dans les marais et dans le vent, un matin de décembre, l’enterrement d’Alain. La famille n’a avoué de la mort ni comment ni pourquoi, et la journée s’en va de travers, comme avait fait la vie qu’on devine et reconstruit.

Moment de bascule où se clôt un cycle, avant les forces neuves du recommencement : celui qui ici est tombé, tandis qu’un autre, son ami, doit continuer.

Pour reconstituer au plus près cette journée blanche et rapide, trois heures d’une hallucinante scène réelle, l’auteur est revenu vivre dans son village natal de Vendée.

Le père se tenait au portail, en avant, sur la rue. Tête nue, un peu penchée de côté et se retournait souvent, pour vérifier si ça suivait bien, derrière, la cour vide, ou s’inquiéter de quelque chose, qui n’aurait pas été à sa place. Je ne me suis pas présenté : je venais, c’est tout. Pourtant, à faire traîner comme ça le « monsieur… », c’est mon nom qu’il attendait. Les mots qui auraient tout facilité ne sont pas venus, on s’est serré la main. Mais ferme, en appuyant vraiment. Quand même, comme il ne me relâchait pas les doigts, tenus sans pression mais collés à sa paume sans que j’ose les enlever : « Un ami d’Alain », j’ai dit. Ça suffisait, c’était le mot de passe.
Je me suis retourné, il s’était retourné lui aussi, au coin gauche du portail et on était maintenant à cinq pas, une silhouette et demie d’homme entre nous. Son chapeau à la main parce qu’il ne savait pas quoi en faire, et ce tressaillement nerveux, toujours le même, qui lui étirait encore une fois la joue rasée de trop près. « C’est par là », il me lança comme si j’avais pu aller ailleurs.
Enfilade vide de la cour, au fond le hangar où le chien traînait la grande boucle d’une chaîne de fer, à côté du fourgon surélevé de la menuiserie. Le chien noir, on se connaissait : il s’est dressé droit, la queue à racler par terre. Et d’aboyer ainsi, tirant sa chaîne à s’en étrangler, finit comme quand ils hurlent à la lune. Chien bête à chagrin : il était donc arrivé ici, le chien d’Alain.

Prix Paul-Vaillant-Couturier, 1992

Prix du Livre en Poitou-Charentes, 1992