Varlam Chalamov

Les années vingt

Traduit du russe et présenté par Christiane Loré avec la collaboration de Nathalie Pighetti-Harrison

Collection : Verdier/poche

192 pages

9,00 €

978-2-86432-554-3

octobre 2008

(collection d'origine : Slovo)

Préparées depuis le début du siècle par une profusion de mouvements à la recherche de formes neuves et de nouvelles théories, les années vingt en Russie voient l’apogée d’une vie intellectuelle intense en dépit des pénuries, des rivalités et des morts.
En 1962, à la demande d’un éditeur, Chalamov fait retour sur cette période. retrouvant l’enthousiasme de ses années de jeunesse vécues au cœur du tumulte, il nous livre au fil de sa plume la matière brute de ses souvenirs. Quelque trente ans plus tard, malgré l’expérience des camps, ils n’ont rien perdu de leur exubérance initiale et les utopies de l’adolescence sont restées secrètement vives.
À travers un détail pris sur le vif, les portraits des personnages que l’histoire littéraire et politique a plus ou moins retenus, ou encore le récit de sa propre expérience d’établi dans une fabrique de la banlieue de Moscou, l’écrivain ressuscite l’atmosphère unique qui régna en Russie à un moment où les esprits déchaînés étaient tous tendus vers l’espoir d’une vie nouvelle.

Les années vingt furent la grande époque des querelles littéraires et des joutes poétiques sur les sept collines de Moscou, au musée Polytechnique, à l’Amphithéâtre communiste de l’université de Moscou, au club universitaire, dans la salle des Colonnes de la Maison des Unions. L’intervention de poètes et d’écrivains avait toujours beaucoup de succès. Même des clubs comme celui de la Banque d’État, rue Neglinny, faisaient salle comble ces soirs-là.
Imaginistes, comfuturistes, nitchevokistes, poètes-paysans, constructivistes, phraseuristes, Kuznitsa, Piereval, LEF, RAPP, et tant d’autres… ils étaient légion. Ces joutes se déroulaient à la façon des drames historiques de Shakespeare :
Scène V. Entrent Maïakovski et Polonski ; ils se battent. Bruits de lutte. Ils sortent.
Scène VI. Entrent Voronski et Averbakh. Voronski (tirant l’épée) : « Excusez-moi, je… » Ils sortent en se battant.
Scène VII. Une forêt obscure. Entre Asséev promenant ses regards à l’entour. Lejnëv s’avance vers lui.
Les débats avaient lieu au moins une fois par mois et toujours en hiver. Dans la salle des Colonnes où se tenaient souvent les soirées de littérature, il n’était jamais prévu de débat.
L’intervention de poètes, d’écrivains et de critiques pouvait prendre deux formes : soit celle d’un face à face entre deux groupes composés en majorité d’orateurs, soit celle d’une lecture publique au cours de laquelle des écrivains de toute appartenance lisaient leurs vers ou leur prose. Dans le premier cas, la soirée s’achevait généralement par une lecture de poèmes, mais pas toujours. Si je me souviens bien, lors du débat : « LEF ou bluff ? », il ne restait plus de temps pour les poèmes, tant il y avait d’intervenants.
Il arrivait que des journalistes de renom comme Lévidov, Sosnovski ou Rykline y soient également conviés.
Lorsque les discussions portaient sur des thèmes particulièrement d’actualité comme « La bohème », « Le phénomène Essénine », « Dieu existe-t-il ? », « Faut-il un institut pour les avocats ? », alors tous, poètes, écrivains et journalistes prenaient la parole, mais personne ne disait de vers.
Le Moscou des années vingt faisait penser à une gigantesque université de la culture, ce qu’il était en effet.