Jean-Jacques Salgon

Ma vie à Saint-Domingue

Collection : Collection jaune

144 pages

14,70 €

Epub : 9,99 €

PDF : 9,99 €

978-2-86432-633-5

janvier 2011

Ma vie à Saint-Domingue raconte une histoire, des histoires. D’abord celle de Toussaint Louverture, génial stratège et héros de la révolte des esclaves dans l’ancienne colonie française de Saint-Domingue, aujourd’hui République d’Haïti, et que Napoléon fit déporter et emprisonner au fort de Joux où il mourut de froid et de maladie le 7 avril 1802.

Celle aussi de ses enfants, Isaac et Placide, qui furent un temps les hôtes de la France (qui les accueillit comme élèves dans son Institution Nationale des Colonies) avant d’y revenir, six ans plus tard, contraints et forcés, assignés à résidence, au moment de l’arrestation de leur père.

Celle de Déguénou, le père de Toussaint, capturé en Afrique et vendu comme esclave. Celle d’Aimé-Benjamin Fleuriau parti de La Rochelle et devenu planteur à la Croix-des-Bouquets, près de Port-au-Prince.

À tous ces destins et d’autres encore se mêlent les propres souvenirs de l’auteur dans un système de réminiscences qui entrent en résonance avec l’histoire qu’il s’efforce de mettre au jour afin, nous dit-il, de se la réapproprier, comme si on l’en avait préalablement privé. Car si – dans les circonstances dramatiques qui continuent de frapper Haïti – le projecteur a été soudain braqué sur ce pays, son histoire et les liens particuliers qui l’unirent jadis à la France sont encore trop méconnus. De ce manque ressenti est donc né un petit livre qui n’est en rien celui d’un historien mais plutôt celui d’un voyageur curieux qui aurait provisoirement choisi d’explorer le temps plutôt que l’espace.

J’ai toujours été un handicapé de la politique. Toute ma vie, comme Roland Barthes, politiquement, je me suis fait de la bile. Le doute foncier qui m’habite m’a tenu à l’écart de ce qui fonde l’engagement en politique : savoir prendre parti. Mon père, lui, n’a pas connu de tels atermoiements. Son adhésion au communisme, ses lectures quotidiennes du Canard enchaîné, son passé de résistant, constituaient une sorte de cuirasse qui le rendait insensible aux pouvoirs corrosifs du doute ou de la contradiction. Je percevais dans ses discours véhéments contre le capitalisme ou le pouvoir en place, dans ses diatribes anticléricales, une sorte de compacité et de monolithisme qui excluait à jamais la possibilité que je puisse un jour devenir pour lui un véritable interlocuteur. C’est ainsi que fut prononcée sinon dans l’histoire du moins dans mon histoire, mon exclusion du champ de la politique (si bien qu’aujourd’hui encore tout vote auquel je me fais pourtant un devoir de participer est une occasion renouvelée d’éprouver à quel point mon être politique est inconsistant).
Cette impossibilité quasi congénitale d’adhérer à quelque forme de groupe ou de parti que ce soit, tout en étant d’emblée concerné par tout ce qui anime la collectivité, m’a fait traverser bien des événements avec l’intérêt passionné et la curiosité candide d’un Fabrice del Dongo parcourant le champ de bataille de Waterloo.
Le samedi 21 février 2009, à l’occasion d’une grande manifestation de soutien aux grévistes de la Guadeloupe, on me trouve donc tout naturellement sur l’un des trottoirs du boulevard Voltaire, longeant le cortège sans toutefois m’y associer vraiment, observant les diverses banderoles derrière lesquelles se regroupent partis ou syndicats. Il y a un peu de soleil, la foule est joyeuse, beaucoup d’Antillais se sont déplacés qui chantent ou lancent des slogans en créole. On sent circuler cette secrète énergie, et comme le souffle d’une reconquête.
Soudain me voici submergé par l’émotion, tentant de réprimer une bouffée de chagrin qui me vient à l’instant où tout près de moi, des militants de Lutte Ouvrière, poings levés vers le ciel, entonnent le premier couplet de L’Internationale. Je n’ai jamais pu entendre ce chant sans voir aussitôt surgir le visage lumineux de mon père, sa chemise à carreaux, sa veste de cuir (« son cuir » comme il disait), les silhouettes des ouvriers du Front Populaire dans la cour d’une usine occupée, les combattants des FTP en embuscade sur une petite route non encore goudronnée des Cévennes, et toute cette imagerie surgie d’un passé portant l’empreinte fraternelle de luttes communes et de combats partagés.

Au début du mois de mai 1794 le drapeau tricolore flotte sur les Gonaïves. Toussaint Louverture vient d’y installer son quartier général après avoir rallié le camp des Français et de la République. Il vient d’enlever la place au parti des émigrés et aux Espagnols. Ses cheveux ont blanchi, il a cinquante ans, il n’agit plus dans l’ombre, il est désormais un chef militaire reconnu. Une bonne partie du Nord-Ouest est sous son contrôle, Le Gros-Morne, Plaisance, Marmelade, Dondon, l’Acul, et bientôt le Limbé et Port-Margot et, un peu plus au sud, les Verrettes et la Petite-Rivière. Il a sous ses ordres près de 4 600 soldats. Ses anciens disciples, Jean-François et Biassou, continuent de combattre, mais depuis que le roi de France a été décapité, ils le font sous la bannière fleurdelysée du roi d’Espagne.
À la demande des grands planteurs blancs et des mulâtres hostiles à l’abolition, les troupes britanniques ont débarqué au Môle-Saint-Nicolas et à Jérémie. Dans la foulée, les villes de Saint-Marc, Léogane, Fort-Dauphin et toute la plaine de l’Arcahaye se sont placées sous leur autorité. Tout l’Ouest est ainsi sorti du giron français. Port-Républicain, ci-devant Port-au-Prince, ne va pas tarder à tomber. Plus au sud, Rigaud résiste avec son armée de Noirs et de mulâtres, et au nord, ce sont Laveaux au Port-de-Paix, Villate au Cap-Français, avec leurs armées républicaines qui continuent de combattre.
Ratifiant et étendant ce qu’avait commencé à faire pour la partie Nord, dans sa proclamation en créole du 29 août, le gros et rubicond Sonthonax, le commissaire jacobin au visage poupin, le Danton de Saint-Domingue, la Convention, dans une loi promulguée le 4 février 1794, vient d’abolir l’esclavage dans toutes les colonies. C’est une première dans l’ancien monde, un choc violent contre la tradition. Mais partout où les Anglais et les Espagnols s’imposent, l’esclavage et la peine du fouet sont rétablis.

« La Francolatina », par Eduardo Olivares, Lafrancolatina.com, vendredi 20 mai 2011

« La Fabrique de l’Histoire », par Emmanuel Laurentin, France Culture, vendredi 6 mai 2011, de 9h05 à 10h

« Tropismes », par Laure Adler, France Ô, samedi 12 mars 2011, à 12h30

« Dans quelle éta-gère… », par Monique Atlan, France 2, lundi 21 février 2011 à 9h05, avant le journal de la nuit et à 5h50

« La Grande Table », par Caroline Broué et Hervé Gardette, France Culture, mercredi 12 janvier 2011, de 12h à 13h30

« Le livre du jour », par Philippe Vallet, France Info, mercredi 12 janvier 2011

« 5/7 Boulevard », par Philippe Collin, France Inter, mardi 11 janvier 2011, entre 17h et 19h