Josef Winkler

Natura morta

Roman. Traduit de l’allemand (Autriche) par Bernard Banoun

Collection : Der Doppelgänger

96 pages

10,14 €

978-2-86432-386-0

mars 2003

Parcourant un marché non loin de la gare Termini, à Rome, le regard du narrateur s’attarde sur une vaste nature morte comme les peintres de jadis aimaient à en offrir, et sur des scènes de genre qui n’ont guère changé depuis des siècles : bouchers et volaillers, marchands de légumes et de fruits, mendiants, tsiganes et éclopés qui peuplent le décor de la tragédie qui va se dérouler en quelques instants. À l’étal du marchand de poisson, un adolescent, Piccoletto, attire le regard du narrateur qui observe de loin ses relations avec les aînés, avec sa mère, avec les garçons et les filles du même âge. Retrouvé par hasard au terme d’une autre promenade dans Rome qui mène jusqu’au Vatican, Piccoletto devient pour Josef Winkler, et pour nous, en quelques pages, une figure familière, l’incarnation d’une beauté promise à la mort qui viendra le surprendre, absurde et grandiose, donnant au titre de ce livre un sens inattendu.

Au stand de poisson, Luigi, le capo, qui avait acheté au premières heures du jour poissons et fruits de mer frais à un grossiste de Fiumicino, était appelé Principe par ses collaborateurs. Sur son maillot de corps était écrit en lettres bleues Damino Rosci. Pesce fresco. Piazza Vittorio au-dessus d’un dessin représentant un crabe. Le gros vendeur de poisson avec une barbe de trois jours, qui aimait les travestis, vêtu d’un maillot de corps gris où étaient imprimés Hawaii et l’image d’un surfeur aux bras levés, répondait au surnom de Frocio. Il racontait souvent avec fierté ses aventures avec des travestis qu’il levait sur la piazza dei Cinquecento et sur la piazza della Repubblica et qu’il prenait dans sa voiture pour les emmener jusqu’au parc de la Villa Borghese. Un jeune poissonnier qui travaillait à l’étal de poisson lorsqu’il n’était pas incarcéré dans une prison romaine était surnommé Nazi-Skin. Enfin, c’est aussi à la poissonnerie Damino que travaillait le fils de la marchande de figues qui, le dimanche, devant l’entrée du Vatican, vend aux cohortes de touristes et de pèlerins des figues vertes fraîches de son jardin. Le garçon de seize ans dont les longs cils effleuraient les joues, appelé Piccoletto par ses collègues, portait autour du cou une chaînette en or avec un crucifix. Ses joues étaient parsemées d’innombrables taches de rousseur. À son poignet droit se balançaient plusieurs petites tétines colorées en matière synthétique.

Prix Alfred-Döblin, 2001