Revue Faenas, nº 4

¡ Carretera y manta !

Collection : Faenas

128 pages

13,18 €

978-2-86432-187-3

février 1996

Sommaire

Marcel Carayon, Manuel Enriquez, matador de novillos (troisième partie)

Camilo José Cela, Oraison légèrement sceptique

Miguel Darrieumerlou, Moi, Harper B. Lee, premier torero yankee

Antonio Díaz Cañabate, La jardinière des toreros

Alexandre Dumas, Vers le Guadalquivir

Jacques Durand, Ascenseur pour les toros

Joël Jacobi, Joselito, trois jours en France

Laurie Lee, Un beau matin d’été

Jean-Michel Mariou, Toni est en voyage

Antoine Martin, Rio grande

Alain Montcouquiol, Morenito y el Chincha

Robert Piles, Don Domingo, les nains et le maréchal (entretien)

Luis Spota, C’est l’heure, matador

 

(Numéro épuisé)

 

Éditorial

 

« Il n’y a qu’en France que j’entends respirer les taureaux. Ça m’inquiète et ça me paralyse. » C’est ainsi que le jeune torero espagnol Miguel Arroyo Joselito expliquait, en 1993, le mal qu’il avait à triompher dans notre pays : en Espagne, et même là-bas, aux Amériques, tout allait bien ; il se sentait en confiance devant les fauves. Mais en France, quelque chose se passait : il les entendait respirer.

Cette étrange histoire de voyage a connu depuis son épilogue : en 1994, Joselito a triomphé tout au long d’un extraordinaire week-end du 15 août, que Joël Jacobi a suivi, de Dax à Bayonne en passant par… Béziers. Car la géographie taurine a des détours que la logique des cartes routières ne connaît pas !

¡ Carretera y manta ! « La route, et une bonne couverture ! » C’est l’exclamation que l’on pousse, le soir venu, la douche prise, avant de remonter en voiture et de prendre le chemin d’une nouvelle arène. C’est le titre de ce quatrième numéro. Partie intégrante de la vie des toreros, le voyage transforme les cuadrillas en minuscules sociétés qui vivent en mercenaires des routes, comme autrefois les bandits de grands chemins. Le voyage a ses codes et ses matériaux. La voiture du torero, le coche de cuadrilla, est une petite république régie par des lois, des codes et des principes.

La route elle-même est réglée par des étapes immuables. De Madrid à Nîmes, de Barcelone à Séville, de Salamanque à Valence, le mundillo emprunte toujours la même route, fait halte dans les mêmes restaurants, échoue dans les mêmes hôtels, au point qu’est née depuis longtemps une poste parallèle, un système autrement plus sûr que tous les operators bi-bop du monde pour laisser des messages et joindre un torero.

Le voyage a aussi ses personnages. Les intermédiaires, que l’on retrouve aux étapes de la route, et qui vous louent des chambres, un puntillero et la table du déjeuner. Dans la cuadrilla, le chauffeur, un de ses plus humbles rouages, est souvent le plus étrange. La plupart ne voient jamais une corrida : ils dorment lorsque leurs compagnons « travaillent ». Et inversement. « Les chauffeurs, dit Alain Montcouquiol, sont les philosophes de la profession : ils passent leur nuit à réfléchir. Et à se demander comment rester éveillé. »

Bien sûr, le voyage a évolué : on prend aujourd’hui des avions, des trains express ; les Cadillac et les Mercedes ont souvent été remplacées par des minibus, à tel point qu’on reconnaît de moins en moins, sur la route, les voitures de toreros. Mais l’errance reste la même, et le voyage à fleur de rêve…

Dans la minuscule gare de la Tour de Carol, au milieu du quai n° 1, une pancarte indique en majuscules : « Pour l’Espagne, continuez sur ce trottoir ». Il suffit encore de quelques mètres, à pied, pour passer d’un monde à l’autre.

Certains voyages mènent aussi vers l’ailleurs total. Les toreros se retrouvent alors, ès qualités, dans des terres inouïes : Juan Belmonte aux États-Unis, Robert Pilès en Yougoslavie, Ambroise Boudin « Pouly II » en Hongrie, d’autres encore en Afrique ou à Hong-Kong.

Aux États-Unis, les jeunes yankees passionnés font le voyage vers le Rio Grande. La frontière mythique au-delà de laquelle on peut tenter la chance de devenir torero… Mais François Zumbielh raconte aussi que dans les arènes de Las Ventas, à Madrid, les touristes japonais se lèvent lorsque sort le quatrième taureau : en voyant rentrer en piste le premier torero de l’après-midi, ils pensent que le spectacle – permanent – recommence, et qu’ils l’ont déjà vu dans sa totalité.

La tauromachie est une terre imaginaire sur laquelle on ne cesse de voyager. Les uns – toreros ou aficionados – parcourent le monde en tous sens, pour aller voir ou combattre les taureaux. Les autres – voyageurs sceptiques et appliqués – pour trouver, sur les terres où se célèbrent l’élevage et le combat du taureau, des connivences, un goût que l’on cherche dans l’aventure de la corrida, cette nostalgie de l’impossible ou autre étrangeté qui remplissent les pages de ce numéro.