Nelly Sachs

Éclipse d’étoile

précédé de « Dans les demeures de la mort »

Poèmes. Traduit de l’allemand par Mireille Gansel

Collection : Der Doppelgänger

160 pages

15,22 €

978-2-86432-280-1

avril 1999

Née dans une famille juive de Berlin en 1891, Nelly Sachs échappe de justesse aux persécutions nazies et se réfugie en Suède en compagnie de sa mère en 1940. Soumise à l’effroyable pression de l’histoire, elle s’enferme dans le silence puis, après une relecture de la Bible dans la traduction novatrice de Martin Buber et Franz Rosenzweig dont les premiers volumes avaient paru avant la guerre, recommence à écrire à partir de 1943. Naissent alors, le plus souvent la nuit, les poèmes qu’elle rassemble en 1946 sous le titre Dans les demeures de la mort. Elle considérera ce livre, qui la place aussitôt parmi les plus grands poètes de son temps, comme le véritable début de son œuvre, souhaitant laisser dans l’ombre les textes qui l’ont précédé. Il contient une série de poèmes dédiés à un homme dont elle ne dira jamais le nom, son fiancé, mort en camp de concentration. Éclipse d’étoile, qui paraît en 1949, prolonge le recueil précédent par une méditation sur le destin d’Israël, sur la fidélité aux morts, sur la possibilité même de tirer encore une parole du silence après l’épreuve des ténèbres. La poésie de Nelly Sachs interpelle les bourreaux, convoque la mémoire des prophètes, et s’affirme comme l’expression de « cette ardeur du cœur qui veut franchir toutes les frontières », toute patrie étant perdue.
Morte à Stockholm en 1970, quatre ans après avoir reçu le Prix Nobel de littérature, Nelly Sachs apparaît aujourd’hui comme l’une des voix majeures du XXe siècle. Mireille Gansel propose ici la première traduction complète de ses deux premiers recueils, réalisée dans un souci de fidélité non seulement au sens mais à l’usage particulier du souffle qui caractérise la diction poétique de Nelly Sachs.

À toi aussi, mon bien-aimé,
Deux mains, nées pour s’ouvrir,
Ont arraché les souliers
Avant de te tuer –
Deux mains qui devront s’ouvrir
Quand elles tomberont en poussière.
Tes souliers étaient en peau de veau.
Ils étaient tannés, teints,
L’alène les avait percés –
Mais qui sait où demeure encore
Un dernier souffle de vie ?
Pendant la courte séparation
De ton sang d’avec la terre
Ils ont accumulé du sable comme une horloge
Que la mort remplit à chaque instant.
Tes pieds !
Les pensées les devançaient.
Elles qui étaient si vite auprès de Dieu,
Ainsi furent-ils fatigués,
Blessés à force de courir après ton cœur.
Mais la peau du veau
Qui un jour connut la caresse
De la chaude langue d’une mère animale
Avant d’être arrachée –
Une fois encore fut arrachée
De tes pieds
Arrachée –
Ô toi mon bien-aimé !