Françoise Asso

Par-dessus le toit

Collection : Collection jaune

128 pages

14,50 €

978-2-86432-721-9

avril 2013

Il y a quelqu’un qui parle : on ne peut pas dire qu’il raconte, ni une histoire ni sa vie ni lui-même. Il parle pour parler : autrement dit, il fait des phrases. Comme tout un chacun, dirait-il, il a de petites idées sur beaucoup de choses : sur les chats et sur les girafes, sur les chaussures, sur les mots, sur les grenouilles, sur les romans, sur les murs, etc.

Il y a des arguments sur lesquels il a beaucoup d’idées (l’hôpital et la prison, c’est ce qu’il dit), il y en a sur lesquels il n’en a pas (la vie, l’amour, c’est ce qu’il dit), il y en a qui ne l’intéressent pas beaucoup et qui reviennent comme des mouches – que personne n’aime et dont il est si difficile de se débarrasser. Il y en a qui l’intéressent (un visage, ou plusieurs : on n’en sait rien, il ne précise pas) et dont il se détourne – depuis toujours, dit-il, mais on n’est pas obligé de le croire. Non plus quand il dit qu’il est seul. Il l’est, certes, mais comme tout un chacun. Ni plus ni moins. Plutôt moins, à tout prendre – à prendre les chats, les girafes, les grenouilles, les visages, et toutes ces phrases, tous ces livres qui l’accompagnent et qui viennent se glisser dans ses phrases à lui, dont il dirait sans doute qu’elles sont aussi bien de tous. Il dirait aussi qu’un livre, c’est comme le reste, et plus encore : chacun y voit, y trouve ce qu’il veut. Ça dépend, oui, ça dépend. Lui, il y a mis des animaux, des visages, des couloirs, des tunnels, des lieux, des livres, des morceaux de phrases et d’images qui ne sont pas plus à lui qu’à n’importe qui : on a beau être seul, on est accompagné.

On a tout intérêt à aimer quelqu’un.
Parce que vivre seul rend fou.
Que vivre avec quelqu’un qu’on n’aime pas est impossible, que ne pas vivre avec quelqu’un qu’on aime est insupportable.
En tout cas, à un certain moment, c’est insupportable, et il faut se précipiter sur ce moment, sur cet insupportable, il faut en profiter ; ensuite vient un autre moment où ce n’est plus insupportable : on vit seul, on aime quelqu’un, oui, mais on préfère vivre seul, on dit qu’on préfère vivre seul, ou on préfère vraiment, c’est possible. Grave erreur : vivre seul rend fou.
Pas pour ce qui vient d’abord à l’esprit : parce qu’on ne fait d’efforts pour personne, parce qu’on se laisse glisser, pourquoi se lever, pourquoi manger, comment manger, se lever, etc. Tout au contraire : parce que seul, on ne cesse de faire des efforts – pour manger, se lever, entre autres choses. Vivre seul rend fou parce qu’on n’arrête pas.

L’Unità, 27 juin 2013, par Chiara Valerio (traduit de l’italien)

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