Olivier Deck

Les yeux noirs

Collection : Faenas

112 pages

10,14 €

978-2-86432-467-6

mars 2006

« J’ai compris qu’il n’y avait pas de différence entre le cante et le toreo. Ils ne font qu’un. Un chant spirituel, qui exprime la tragédie de la vie. Un chant d’amour désespéré que la mort rend sublime. »

Le monde de la tauromachie risque bien d’avoir disparu avant que la littérature n’arrive à le faire plier. Pourtant, dans ces Yeux noirs, Olivier Deck réussit à approcher au plus près certaines vérités fondamentales de ce monde hors du commun où la vie est un peu plus que la vie.

Lorsque, à travers ces dix courtes nouvelles, brillantes et ciselées comme une faena parfaite, il décrit le petit monde des gargotes et des bistrots taurins de Madrid, Olivier Deck nous souffle avant tout cette vérité : quand la corrida, la musique, la poésie et la peinture n’existeront plus, il faudra bien trouver autre chose…

— Quand j’avais ton âge, j’étais partagé entre le désir d’être cantaor ou torero. On me disait doué pour les deux. J’ai cédé aux miroirs de l’arène. Parce que pour moi, le chant, c’était la nuit, l’ombre. L’arène, c’était la gloire, le soleil. Je n’avais rien compris. Le toro porte l’ombre. Il sort de l’ombre du toril, l’ombre est au bout de ses cornes, elle est dans son pelage, elle est dans ses yeux noirs, pleins de nuit, qui te regardent comme s’ils t’avaient toujours connu. Et toute cette ombre, toute cette nuit, il faut l’accueillir au creux de ta cape, au plus intime de ton ventre, pour l’accorder au rythme des choses, en abolir la force destructive dans l’harmonie des gestes courbes, et ne restituer au monde qu’un fugitif éclat de beauté, de sérénité. Juste avant de passer l’alternative, pour mon dernier contrat de novillero à Madrid, j’ai cru que c’était gagné. Que le toro allait sortir pour me porter aux nues, tout simplement. J’étais sûr de moi, je n’avais pas peur. J’avais oublié qui il était et pourquoi il était là.
Le visage de Juan se rembrunit. Miguel le regardait, sans oser prononcer une parole.
— J’étais jeune, je ne pensais pas à tout ça. Pas plus que toi aujourd’hui. Mais la vérité est là, au-dessus de nous, avant que la jeunesse en ait compris la loi intransigeante. Juste avant l’estocade, alors que je m’imaginais par avance sur les épaules des spectateurs, franchissant la grande porte de Las Ventas, le toro m’a pris. Je suis mal retombé. Quand je me suis réveillé, sur un lit d’hôpital, j’étais aveugle.

Prix des Lettres de l’Académie d’Occitanie, 2008

Prix spécial du Salon du livre d’Orthez, 2006