Pierre Bergounioux

Les forges de Syam

Récit

Collection : Verdier/poche

96 pages

5,89 €

978-2-86432-505-5

août 2007

Cela fait quatre siècles que l’on forge à Syam, en dépit des lois, bien plus dures que le fer, qui régissent l’activité économique. Une poignée d’hommes dansent le feu de part et d’autre du laminoir. Ici le temps a marché sur place. La vie s’obstine, portée par le travail.

La singulière étrangeté du lieu vient de ce qu’il tient ensemble les contraires, l’eau et le feu, le mouvement et l’immobilité, la permanence et le changement, l’universel et le local, le présent et le passé.

On a beau savoir qu’on est dans une forge et non pas un monastère ou une maison de correction, on est quand même étonné de voir un lingot de métal chauffé au rouge glisser dans la pénombre par la porte entrouverte qui donne sur la cour. C’est là, sous la toiture fléchissante, au droit du lanterneau, que s’exécute l’opération majeure – magique, toujours – qui consiste à déformer le fer avec l’aide du feu. Entrons. La charpente est celle d’une grange. Des planches brutes de sciage, chaulées, délimitent un réduit comme on en voit dans les étables ou les écuries. Mais ce sont de grandes pinces qui sont accrochées aux parois du box. Le sol est pavé de dalles de fonte d’un mètre de côté. Le laminoir est une invention flamande de la Renaissance. Deux cylindres contrarotatifs aplatissent le métal, le convertissent en plats ou en barres. Ce seraient les dernières choses à faire dans une vallée mal reliée au monde extérieur, entre deux rivières, au fond d’une cour fermée, derrière un porche étroit. Il existe un marché international des fers, dominé par des groupes surdimensionnés. C’est eux qui fixent le cours des tôles et des profilés usuels et Syam, entre ses murs inchangés, avec son train du siècle passé, serait condamné, s’il s’y essayait, à vendre aux prix de 1900, donc à perte, et à péricliter.
Mais à côté de la demande massive de produits standard, il existe un besoin mouvant d’éléments spéciaux, en quantités trop réduites ou à trop bref délai pour que de grands complexes sidérurgiques puissent y répondre avec profit. C’est alors qu’une quarantaine de personnes, isolées dans les monts du Jura, à l’étroit dans un cadre vénérable, peuvent faire offre avec une chance raisonnable d’obtenir le marché. Approchons encore, en prenant garde à ne pas troubler le ballet des ouvriers qui évoluent selon un ordre très rigoureux de part et d’autre du train.