Pierre Silvain

Le jardin des retours

Collection : Collection jaune

112 pages

12,68 €

978-2-86432-365-5

octobre 2002

Pierre Loti fut cet enfant sérieux et chimérique de Rochefort et je l’ai été bien des années après lui au Maroc, où dans son âge d’homme il voyagea.
Sa sensualité, sa mélancolie, son goût du décor ont décidé de sa passion pour le vieux pays retranché de l’Europe, mais déjà menacé et bientôt investi par elle. J’ai chevauché avec lui des territoires vierges où la réalité se dissout dans l’éblouissement de la lumière ou l’abondance des pluies, comme dans son rêve vain d’un temps à jamais suspendu.
Cette aventure maghrébine a aussi sa face secrète.
Elle m’enseigne combien importent les commencements d’une vie, en ce qu’ils impriment à celle-ci sa vérité irrévocable. Et que c’est cette vérité-là qui rend le désir des retours tellement plus impérieux que l’injonction des départs.

 

Pierre Silvain

Il est revenu de son voyage au Maroc. À présent qu’il est devant elle, dans la chambre où il est monté par l’escalier raide, elle regarde le visage à l’expression aimante et possessive. Il est à jamais l’enfant auquel elle s’est donnée. Rien ne pourra faire qu’il ne le demeure pas. Les femmes, les hommes qui l’ont un moment retenu, les paysages où il s’est enfoncé jusqu’à s’y dissoudre, les chevauchées vers des horizons chimériques le lui rendront inchangé, quand bien même parfois son hâle plus sombre semble un voile jeté sur quelque secret et qui tarde à se dissiper. Elle ne l’interroge pas, il lui suffit qu’il soit cette présence pour l’instant silencieuse dans la chambre du haut, où elle a peut-être un portrait de l’homme jeune qu’il est toujours, une photographie trop noire et trop blanche comme on en tirait alors le montrant déguisé en Oriental, raide, prenant la pose, accoudé à une colonnade, bien qu’elle le préfère en uniforme d’officier de marine ou, un peu flou parce qu’il a bougé, tenant un gros chat entre ses bras. Dans son innocence ou dans sa tendresse, ou dans l’égarement du bonheur d’être à nouveau ensemble, il lui arrive de croire qu’il n’est pas parti, ou, quand elle retrouve assez de raison, qu’il ne s’est absenté qu’à moitié, qu’une part de lui est restée ici.